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Le quatrième pouvoir prend la place du premier

Julien Le Fort
La Nation n° 1753 4 mars 2005
Les Chambres fédérales ont entériné, le 17 décembre 2004, un projet de «Loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration (Loi sur la transparence, LTrans)» (notez au passage le français fédéral; FF 2004 6807). Le délai référendaire expirera le 7 avril 2005, sans que personne ne se soit opposé. Voyons cette loi de plus près.

Pour commencer, et cela peut paraître risible, l’abréviation nous semble mal choisie. D’abord parce que la LTrans pourrait aussi bien être une loi sur le transport ou sur la transplantation qu’une loi sur le principe de la transparence dans l’administration. Ensuite parce que, inévitablement, à notre époque, «trans» fait penser à «transsexuel». L’entrée en matière n’est donc pas des plus réjouissantes.

A propos des changements qu’opère la nouvelle loi, le Message du Conseil fédéral (FF 2003 1807 ss) affirme: «Sous le régime actuel, l’activité de l’administration fédérale est en principe secrète. Un droit d’accès aux documents officiels n’est accordé qu’à certaines conditions et dans certains cas déterminés. (...) La nouvelle loi vient renverser ce principe en faisant de la transparence la règle généralement applicable et du secret le cas d’exception.»

Cette inversion de principe ne bouleversera certes pas la pratique. En effet, une personne engagée dans une procédure administrative fédérale (demande d’autorisation quelconque, recours contre une note attribuée par une EPF...) a toujours eu et aura toujours accès aux documents concernant son dossier; cela découle du droit d’être entendu. Il reste que la principale différence instaurée par le nouveau régime est le droit d’accéder à des documents officiels pour des personnes n’étant pas partie à une procédure. C’est dire que le quidam, qui n’a aucun intérêt objectif à l’information, aura tout de même un droit subjectif à obtenir celle-ci. L’expérience à l’étranger a montré que le quidam est très souvent un journaliste. Il en résulte que la pratique administrative sera peu modifiée, mais que l’administration fédérale sera tout de même plus intensément surveillée par l’opinion publique.

Faire travailler l’administration dans une vitrine est clairement un signe de défiance à son égard. Or - notre séminaire sur l’autorité l’a relevé - la confiance est une composante fondamentale de l’autorité. Ce processus de mise à nu des autorités fédérales s’inscrit donc dans celui de contestation de l’autorité que nous connaissons. Au lieu de laisser l’administration faire son travail, les médias risquent de vouloir administrer le pays à sa place (si ce n’est pas déjà le cas). La LTrans leur en donne les moyens. Dans cette optique, la nouvelle loi est très critiquable.

Le plus étonnant dans l’affaire est que l’initiative de cette loi est venue du Conseil fédéral lui-même, et donc de l’administration fédérale. Le pouvoir exécutif fédéral scie lui-même la branche (ou plutôt la brindille?) d’autorité sur laquelle il est assis! Cette attitude dénote un manque de confiance des autorités en elles-mêmes et en leurs subordonnés hiérarchiques.

Cette loi est une manifestation de plus de l’individualisme dans l’Etat; en Allemagne, on appelle cela la philosophie «bürgerfreundlich». Cette façon de penser va si loin que les autorités elles-mêmes en viennent à ne plus défendre l’intérêt général. Elles consacrent en effet tant d’énergie à se préoccuper des intérêts individuels de leurs administrés que l’intérêt général en pâtit. De plus, la pratique du bürgerfreundlich place l’administration dans un tel rapport de promiscuité avec ses administrés qu’elle ne peut plus guère exercer son autorité. Gouverner requiert non seulement la confiance des citoyens, mais également une certaine distance vis-à-vis d’eux. La LTrans en fait totalement fi.

Quant à songer à un possible référendum, il est établi depuis bien longtemps que la défense de l’intérêt général permet difficilement de récolter des signatures, l’exception du référendum des communes confirmant la règle.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • La Langue et la pensée – Editorial, Olivier Delacrétaz
  • † Le pasteur Roger Barilier – François Forel
  • Une idée dans le vent – Olivier Klunge
  • Catalogue des prestations inutiles (II) - Le Bureau de l'égalité entre femmes et hommes – Cédric Cossy
  • Le besoin d'autorité, suite et fin – Denis Ramelet
  • La neutralité, le crime et une argumentation brouillonne – Roberto Berhard
  • Pauvres parents! Et pauvres enseignants! – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Les journalistes au bord du trou – Le Coin du Ronchon