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Histoire sans fin

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2047 24 juin 2016

La consommation régulière de n’importe quelle drogue engendre un besoin physique et psychique de consommer. Ce besoin dégénère pour certains en nécessité. La drogue réduit la part de liberté et de volonté dans les actes du toxicomane. Elle diminue ses facultés de concentration et d’action. Elle déforme sa perception de la réalité en lui inspirant en toute chose un jugement fondé sur ses intérêts immédiats. Elle émousse son âme, vide ses muscles, fragilise ses os, vieillit sa peau.

Ces effets sont les mêmes chez tous les toxicomanes, mais du point de vue de leur réhabilitation, chaque cas est unique. Chaque toxicomane doit être traité pour lui-même et pas simplement comme une partie d’un phénomène social. Il s’agit à chaque fois d’un destin personnel à reprendre en main, ce qui signifie notamment que rien ne peut se faire sans un minimum de volonté du toxicomane. On ne peut vouloir à sa place. On peut juste lui offrir le cadre de respect, pour sa personne, et de rigueur, pour ses faiblesses, qui l’aidera à entretenir cette première étincelle de volonté, signe infime d’une liberté recouvrée. Et pour ceux qui l’accompagnent, l’effort n’est pas moins grand, car, outre une présence attentive et durable, ils doivent accepter la perspective des rechutes, avec leur lot de déni, de mensonges et de manipulations.

La prévention, qui fait partie de l’éducation familiale et scolaire, ainsi que la répression, qui est l’affaire du législateur, de la police et des tribunaux, complètent la prise en charge thérapeutique du drogué. On parle de la «politique des trois piliers».

Il faut être conscient que seul un petit nombre de personnes auront le cran de se soumettre à une thérapie visant l’abstinence et qu’une partie seulement de celles-ci iront jusqu’au bout. Doit-on pour autant parler d’échec? Etant donné l’efficacité mortelle de la drogue et la fragilité de ceux qui la consomment, il faut plutôt considérer que chaque personne qui s’en sort est une réussite inespérée.

Ce n’est pas l’avis de ceux qui, malgré l’existence avérée des trois piliers, dénoncent «l’échec de la politique répressive». C’est évidemment plus facile, si l’on veut démontrer l’«échec», de recourir à ce qualificatif dévalorisant et de passer sous silence les efforts de prévention et de réhabilitation.

Cela dit, notre politique est-elle vraiment aussi répressive qu’ils le prétendent? Le politicien est tiraillé entre l’électeur ordinaire, qui veut de l’ordre et de la propreté dans les rues, et la pensée dominante, qui juge que chaque individu est libre de faire ce qui lui plaît. Aussi réprime-t-il sans réprimer, oscillant entre les actions spectaculaires de répression et le laxisme de croisière. Or, la répression n’a de sens et d’efficacité que si elle est constante et lisible par tous, y compris le délinquant. Là se trouve l'«échec» de la répression.

Nos politiciens ne sont pas seuls en cause. Si l’on prend quelque distance, en effet, on constate que, tous les deux ou trois ans, les médias reviennent à la charge. En général, ils donnent la parole à un expert «bardé de diplômes» qui constate, sur le ton de celui qui a redécouvert l’Amérique (du Sud), l’échec du «tout-répressif». Il donne des chiffres terrifiants, puis énumère des propositions, que la presse qualifie mécaniquement de «novatrices». Ce discours triennal ne change jamais… et ne vient jamais seul. En même temps, en effet, on donnera un large écho à une manifestation de commerçants, par hypothèse ceux de la place du Tunnel, qui exigent que les pouvoirs publics interviennent pour éradiquer une «scène ouverte» de la drogue. Puis, les autorités d’une grande commune ou d’un canton annonceront qu’il importe aujourd’hui de dépasser une approche purement répressive de la toxicomanie.

En arrière-fond, on sent la patte de l’un ou l’autre groupe de pression international prônant d’une part le contrôle de la production et de la distribution de la drogue par un organisme centralisé sur le plan mondial, et d’autre part la libéralisation complète de la consommation. Ainsi de la Global commission on drug policy, qui fait semblant d’être un organisme onusien, constituée par de nouveaux milliardaires et d’anciens politiciens, parmi lesquels Richard Branson, Kofi Annan, quelques présidents retraités de l’un ou l’autre Etat de l’Amérique latine ainsi que Mme Ruth Dreifuss, qui sort occasionnellement de sa boîte pour prêcher la bonne nouvelle. C’est cette collusion de technocratie internationale, de fortune anonyme et d’idéologie libertaire qui détermine les grandes lignes de la manœuvre.

Une des propositions «novatrices» les plus anciennes est la création d’un local d’injection officiel dans lequel le toxicomane pourrait consommer son poison dans de bonnes conditions sanitaires. On appelle ça la politique de «réduction des risques» ou encore le «quatrième pilier». La Municipalité de Lausanne propose au Conseil communal de créer un tel local, nommé pour l’occasion «Espace de consommation sécurisé» (ECS). Le 8 juillet 2007, les Lausannois avaient déjà refusé une proposition semblable. Les arguments à l’appui de leur refus sont tout aussi pertinents qu’à l’époque.

Le fait que les pouvoirs publics organisent eux-mêmes un endroit où l’on peut consommer légalement des produits illégaux n’est juridiquement et moralement pas acceptable. Et quand les auteurs du préavis N° 2016/41 rédigé à l’appui du projet lausannois prétendent que le local ne sera pas une zone de non-droit sous prétexte qu’il fera l’objet d’une convention particulière avec la police, ils se moquent du monde. Le droit est un, et les pouvoirs publics ne sauraient être des deux côtés de la barrière. Comment pourront-ils conduire une vraie répression du commerce de la drogue à partir d’une position aussi contradictoire?

L’«Espace de consommation sécurisé» attirera les dealers, toujours à la recherche de nouveaux clients. Ils viendront de loin, des autres cantons, voire des pays voisins. Contrairement à ce qu’on espère ou veut nous faire croire, il y aura pas mal de trafic, dans tous les sens du terme, autour du local. Et dès qu’il y aura des bouchons devant la porte dudit local, les toxicomanes iront consommer dans les immeubles avoisinants. On prétend éviter les nuisances alors qu’elles se concentreront aux alentours du local, les consommateurs abandonnant sur le terrain leurs déchets ordinaires, seringues, mouchoirs et pansements. Alors, on construira des palissades tout autour pour éviter qu’on puisse parler d’une «scène ouverte».

Le shootoir symbolise l’échec d’une société qui se contente d’une thérapeutique palliative et abandonne le toxicomane à sa dépendance.

L’idée de shootoir repose sur une triple fiction. La première est que le toxicomane est un individu raisonnant comme vous et moi en ce qui concerne les questions sanitaires et d’hygiène. En fait, dès qu’il sera sorti du local, il redeviendra «libre» de consommer des produits frelatés et de se piquer avec des aiguilles souillées, avec tous les risques que cela comporte. La seconde fiction est que la consommation sanitaire remplacera la consommation sauvage, alors qu’elle s’y ajoutera, au moins partiellement. La troisième fiction est que la proposition de la Municipalité va déboucher sur un système stable et définitif. C’est la plus dangereuse, car elle est de nature à convaincre les bourgeois de gauche et de droite qu’on va faire une fin en matière de drogue et qu’on arrêtera de leur casser les oreilles avec ça. Le bourgeois prise son confort par dessus tout.

Le préavis affirme que «l’ECS lausannois ne proposera ni traitement de substitution ni prescription médicale d’héroïne». Il est possible que la Municipalité y croie, en quoi elle ne se montre pas très «visionnaire», pour utiliser un terme que les politiciens affectionnent. Nous croyons qu’elle ne fait que participer à un mécanisme infernal et que son projet s’inscrit dans une perspective évolutive qui est celle de la banalisation de la drogue. On commence par organiser l’échange de seringues, pour éviter d’en trouver des sales dans tous les coins. Ensuite, on distribue des seringues par paquets. Puis on installe des automates à seringues. On met sur pied un laboratoire ambulant de drogues, histoire d’assurer la qualité des produits consommés dans les boîtes de nuit. En parallèle, on étrangle financièrement les institutions qui prônent l’abstinence, de façon à les contraindre à abaisser leur seuil d’exigences.

Dans cinq ans, la Municipalité de Lausanne nous expliquera que ce n’est pas assez d’offrir un espace à la consommation, qu’il faut être proactif et passer à la distribution contrôlée d’héroïne parce qu’on vend trop de cochonneries dans les rues, que le mieux serait d’ailleurs de libéraliser la consommation, bien entendu sous le contrôle de l’Etat, et en particulier du fisc, etc.

Nous croyons savoir qu’un référendum communal se prépare. Nous le soutiendrons.

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