Juvenilia CXXVI

Hakim, qui croit au progrès, m’a expliqué la supériorité de la religion musulmane sur les autres religions monothéistes par des considérations chronologiques: le judaïsme en serait la version primitive, améliorée ensuite par le christianisme, de telle sorte que l’Islam se profilerait comme l’aboutissement indépassable de la révélation divine. Voilà. En somme, c’est comme les automobiles: les Lamborghini vont mieux que les De Dion Bouton. Mais n’ironisons pas, son interprétation a au moins le mérite d’être inclusive et respectueuse des ancêtres inachevés.

L’autre jour, avant d’entrer en classe, Hakim et Manon se livrent à de menues agaceries réciproques, qui sont surtout des manœuvres de séduction maladroites. On dirait des oursons chamailleurs qui amusent les visiteurs d’un zoo. Un coup de patte bien ajusté de Manon offusque le garçon qui vient glapissant pour obtenir protection et vengeance auprès de moi.

(«Vous devez bien ça à votre élève préféré!») Je fais semblant de n’y rien comprendre et demande à Manon si elle a besoin que je la délivre des assauts de l’importun. Hakim crie à l’injustice, envahit la salle encore vide en bondissant entre les tables comme un sapajou enragé. Arrivé à sa place, il saisit le foulard de sa voisine, s’enturbanne hâtivement et hurle:

– Puisque c’est ainsi, je me radicalise!

A l’éclat de rire de ses camarades, il répond par un sourire appuyé et complice, parce qu’il n’est pas de l’espèce des pince-sans-rire, et qu’il est plutôt fier de son effet.

Nous avons la chance de vivre dans un pays où l’on peut plaisanter sur un sujet qui déchire nos voisins. Pour combien de temps encore?