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Aphorismes de Pierre Boulez

Jacques Perrin
La Nation n° 2048 8 juillet 2016

Pierre Boulez, compositeur, chef d’orchestre, professeur au Collège de France, fondateur puis directeur de l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique) et de l’Ensemble intercontemporain, est mort le 5 janvier 2016. Ce fut une figure considérable de la vie musicale française du siècle dernier. Il y avait chez lui un côté dictatorial qu’une légère ressemblance physique avec Napoléon (ou avec Mussolini…) accentuait. Il assumait son tempérament. Sa conception du destin de la musique n’était pas si éloignée de celle du fasciste Rebatet: même fascination pour Wagner et la musique allemande, même volonté de modernisation révolutionnaire, mêmes jugements tranchés, même nihilisme sous-jacent. Il fallait que la musique évoluât toujours, quitte à s’élever vers une abstraction confinant au néant.

Peu avant de disparaître, Boulez a donné une série d’entretiens avec Michel Archimbaud, immédiatement parus en édition de poche (Folio essais 615).

Pour allécher le lecteur, nous reproduisons ci-dessous sous forme aphoristique, avec de très légères modifications, certaines sentences de Boulez. Du brutal…

 

Compositeurs

Pour moi, le Requiem de Fauré, c’est de la bouillie.

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Berlioz a un côté autodidacte et il n’a jamais tout à fait maîtrisé le métier de musicien. On sent chez lui le gratteur de guitare qui fait des accords à la va-comme-je-te-pousse.

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Satie n’existe pas, à l’exception d’une gymnopédie, point final. C’est l’éternel réhabilité alors qu’il n’y a vraiment rien à réhabiliter chez lui. La Mort de Socrate, c’est de l’amateurisme dans ce qu’il a de plus triste.

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Au fond, Ives, c’est du Mahler raté.

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Salomé et Elektra sont de purs chefs-d'œuvre. Le Chevalier à la rose indique que Strauss commence à fatiguer, un peu comme Picasso qui, après avoir connu une période extraordinaire, commence à faire de faux Ingres, ce qu’on appelle sa période «ingresque».

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Beethoven donnait ses quatuors un dimanche matin au-dessus d’un troquet en présence de quelques rares auditeurs.

 

Musique

Le chant grégorien est une merveille, alors que les cantiques que les catholiques se sont mis à entonner après Vatican II sont catastrophiques.

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Vous devenez musicien en écoutant de la musique.

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Il me paraît difficile de se laver les dents en écoutant le prélude de Parsifal.

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Qu’ai-je à faire que dans tel manuscrit de Bach ou de Mozart, on peut trouver un sol dièse un peu avant ou un peu après, une appoggiature ou pas d’appoggiature? Cela ne va pas changer la face du monde. Une appoggiature, ce n’est pas le nez de Cléopâtre!

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Le jazz, c’est un peu comme du préfabriqué: on n’invente rien, on reprend de vieux airs et les bonnes recettes d’antan.

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Je n’ai jamais entendu de musique de film qui m’ait semblé valoir quelque chose. Ce ne sont que des bruitages.

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La musique n’exprime pas directement les choses, tandis que la langue les exprime directement.

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Dans la musique, on est absolument prisonnier du défilement du temps.

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Si la musique n’était perceptible que par les gens qui la connaissent, on n’aurait jamais qu’un auditoire très limité.

 

Pédagogie

Les rapports pédagogiques ne doivent pas s’éterniser.

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Le contenu d’un enseignement musical importe plus qu’un cahier d’absences. Un directeur n’a pas à se demander qui est absent, mais pourquoi les élèves s’absentent.

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J’ai remarqué que les meilleurs pédagogues sont jeunes.

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Concernant l’enseignement musical de l’avenir, c’est exactement comme pour l’apprentissage d’une langue étrangère: on aura toujours besoin d’une solide base écrite, d’une bonne connaissance de l’orthographe, de la syntaxe et du vocabulaire.

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Je suis un pur autodidacte. J’ai appris la direction d’orchestre par moi-même et je crois que je me suis perfectionné.

 

Philosophie, politique

Ce qui n’évolue pas ne m’intéresse pas.

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Le passé doit permettre de comprendre ce qui se passe aujourd’hui, mais il ne doit pas être l’objet d’un culte permanent.

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Je trouve dangereux qu’une civilisation devienne principalement une civilisation de bibliothèque.

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Le créateur n’a rien d’autre à faire que de travailler et de donner ce qu’il a en lui.

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Il faut détruire pour trouver du nouveau et détruire ne signifie pas être nihiliste. C’est Char qui disait: «Si tu détruis, que ce soit avec des outils nuptiaux».

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Le danger des institutions, c’est la sclérose, l’engourdissement.

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Plus on personnalise les institutions, plus elles sont faibles.

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Les oukases sur la musique d’Andréï Jdanov, ministre de la culture de Staline après guerre, m’ont guéri à tout jamais du communisme.

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Aragon était toujours aux ordres des dernières malhonnêtetés du parti. Un jour, vous le trouviez faisant l’éloge de Tito, puis, peu après, le même Tito était devenu la lie de l’humanité. Je n’aurais jamais pu avoir affaire avec pareil truqueur.

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Ce qui me gêne beaucoup, c’est que les gouvernements veulent systématiquement, et par opposition, défaire ce qu’ont entrepris les gouvernements précédents.

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