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TAFTA? Vous avez dit TAFTA?

Olivier Klunge
La Nation n° 2050 5 août 2016

De quoi s’agit-il?

Les journaux suisses et européens nous parlent beaucoup des craintes des milieux de gauche contre TAFTA et de la vigilance que les consommateurs doivent avoir vis-à-vis de ce partenariat de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis. Mais de quoi s’agit-il vraiment?

Disons-le tout de suite, à part quelques diplomates, personne ne sait vraiment de quoi on parle puisque ce fameux accord TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) n’en est encore qu’au stade des négociations qui restent naturellement secrètes.

Sur le principe, il s’agit d’un accord de libre-échange bilatéral entre l’UE et les Etats-Unis. Un tel accord vise à favoriser les échanges commerciaux entre les Etats signataires. Les deux moyens pour arriver à cette fin sont, d’une part, la baisse ou l’abrogation des droits de douane dans les échanges entre participants. Si les voitures importées d’Europe aux Etats-Unis ne paient plus de droits de douane, alors que leur importation était auparavant taxée à 20%, elles seront d’autant moins chères pour les Américains qui devraient, en bonne logique libérale, s’y intéresser d’autant plus.

D’autre part, il s’agit de supprimer les barrières réglementaires. Cette notion recouvre les prescriptions sanitaires, écologiques, de sécurité que chaque Etat impose aux produits commercialisés sur son sol. Comme ces règles peuvent être différentes, voire contradictoires, dans les différents Etats signataires, cela restreint les échanges commerciaux. Si des voitures doivent avoir des feux jaunes dans un pays et blancs dans l’autre, cela impose au constructeur qui veut les exporter de fabriquer un modèle conforme aux exigences de chaque pays, ce qui renchérit le coût de son produit.

En bonne théorie libérale, ces prescriptions sont suspectes de cacher du protectionnisme. Même sans être un libéral doctrinaire, on comprendra que, dans le cadre d’un partenariat économique, chaque Etat cherche à favoriser son industrie d’exportation et que les Américains demandent à écouler leur bœuf nourri aux hormones ou leur maïs OGM en Europe, cette dernière s’y refusant actuellement pour des raisons sanitaires.

 

Pourquoi TAFTA est-il décrit comme dangereux?

Les agriculteurs en général craignent que cet accord ne permette des importations de l’industrie agroalimentaire extensive des Etats-Unis, qui produit à des coûts plus faibles que sur notre continent, ainsi qu’une pression sur les subventions qu’ils touchent. Mais le gros des opposants ne défendent pas des intérêts de branche, ils s’opposent par principe à l'idée de libre-échange, en général et avec les Etats-Unis en particulier.

Les craintes alléguées sont une baisse de la qualité des denrées alimentaires et une disparition du «service public» menacé par un abandon des monopoles d’Etat provoqué par une ouverture de services (poste, santé, voirie,…) à la concurrence américaine.

Outre le fait que ce mouvement de libéralisation fait déjà partie des objectifs de l’Union européenne, les craintes formulées n’ont pas de réel fondement puisqu’on ne connaît rien de l’état des négociations. De plus, La Nation a toujours été réticente face aux principes de libéralisation qui obligent les acteurs publics à mandater des prestataires étrangers moins chers, sans pouvoir tenir compte de l’intérêt public à conserver des emplois et des savoir-faire locaux.

Enfin, certains s’opposent à l’instauration par le traité de tribunaux arbitraux (indépendants des pouvoirs judiciaires nationaux) que pourraient saisir des entreprises, estimant qu’un Etat ne respecte pas l’une des dispositions du traité. Ce mécanisme arbitral, nommé ISDS (Investor-State Dispute Settlement), est pourtant présent dans de nombreux accords internationaux d’investissements. L’expérience montre en effet que les justices nationales ne sont pas promptes à réprimer les abus de droit de leur propre Etat, en particulier face à des multinationales. D’un point de vue suisse, il est intéressant de noter que des Européens semblent également moyennement apprécier les juges étrangers…

 

Quelle influence sur la Suisse?

La Suisse ne fait pas partie des négociations bilatérales qui ne concernent que l’Union européenne et les Etats-Unis. Il semble que ces derniers ne sont pas intéressés à ouvrir des négociations parallèles avec la Suisse et l’AELE. Il n’est cependant pas exclu, si TAFTA est conclu, que les Américains proposent de signer un accord identique avec notre pays.

Vu le flou sur la teneur des dispositions de cet accord, il est difficile de juger aujourd’hui si le fait de ne pas être lié par cet accord est bénéfique ou néfaste pour notre pays. Dans les grandes lignes, si les entreprises de l’UE pouvaient exporter en Amérique sans droits de douane, auxquels les Suisses resteraient soumis, l’industrie d’exportation et les services seraient défavorisés. En revanche, le consommateur pourrait se réjouir de ne pas voir déferler des denrées de piètre qualité et les employés de certaines entreprises de voir leur réglementation protectrice maintenue.

Comme, chez nous, les mouvances les plus européistes sont aussi les plus anti-américaines, il est piquant de voir des socialistes ou des écologistes regretter à la fois la négociation de TAFTA par l’UE, ses répercussions pour le consommateur suisse et le fait que la Suisse n’en fasse pas partie… La conclusion (rédigée à l’avance pour toute prise de position) est évidemment que cela «montre clairement à quel point notre pays est concerné par les décisions prises au sein de l’UE et à quel point son statut d’Etat-tiers le défavorise, une adhésion à l’UE étant inéluctable.» Le fait que la Confédération pourra négocier indépendamment certaines clauses d’un accord avec les Etats-Unis et finalement choisir librement d’y adhérer ou non, n’entre pas en ligne de compte pour ces idéologues.

 

C’est pour quand?

A fin juillet 2016, il est particulièrement oiseux de faire des pronostics sur l’avenir de ce traité. Le Royaume-Uni étant l’allié traditionnel des Etats-Unis au sein de l’UE, le Brexit rebat les cartes. Dimanche 26 juin, Manuel Valls a déclaré qu’il ne peut pas y avoir de TAFTA, car cet accord ne va pas dans le bon sens. Le lundi suivant, Angela Merkel et Jean- Claude Junker indiquaient au contraire que les négociations se poursuivaient.

Aujourd’hui, si certains rêvent d’enterrer cet accord, d’autres imaginent le Royaume-Uni, débarrassé des réticences hexagonales, et pourquoi pas lié à l’AELE, négocier rapidement un nouvel accord transatlantique qui lui donnerait un avantage compétitif sur le continent.

Bref, nous n’avons certainement pas encore fini de discuter de TAFTA et peut-être saurons-nous un jour de quoi on parle.

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