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Un modèle norvégien pour l’armée suisse?

Edouard Hediger
La Nation n° 2050 5 août 2016

L’idée faisait les titres de la presse il y a quelques jours. Un groupe de travail planchant sur l’évolution de l’obligation de servir propose un statu quo «plus» préservant l’organisation actuelle autour de l’armée, de la protection civile et du service civil, avec une plus grande perméabilité entre les institutions. Mais sa conclusion principale suggère une extension du service obligatoire aux femmes. L’idée principale est de pouvoir pallier le manque de spécialistes dans l’armée à long terme. Le groupe propose d’étudier la transposabilité d’un modèle dit «norvégien» en Suisse. Après le plébiscite de 2013 à 73% de l’obligation de servir, il est tout à fait légitime de mener une réflexion sur le rôle des femmes. Quelques considérations ne doivent pourtant pas être mises de côté.

Le modèle norvégien d’une armée «sexuellement neutre» est fréquemment évoqué comme un modèle d’intégration des femmes au profit de la collectivité. Avec un bassin de recrutement élargi, la grande majorité des Norvégiens et Norvégiennes choisissent pourtant d’éviter le service militaire en payant une taxe d’exemption qui devient donc un impôt à part entière. En arrière-fond, se pose donc la légitimité d’un tel procédé vis-à-vis des militaires dont le but ultime, ne l’oublions pas, est peut-être de risquer leur vie au service de la collectivité.

Avec le vote du Développement de l’armée (DEVA) heureusement accepté par le parlement, l’armée suisse va encore réduire ses effectifs ces prochaines années. Il est donc évident qu’un tel cas de figure se présentera aussi chez nous. Une obligation ne peut pas être compensée par le simple payement d’une taxe déresponsabilisant une grande partie de la population. Il faut à tout prix éviter de créer des classes de citoyens, entre ceux qui assurent les conditions d’existence et la souveraineté helvétique et ceux qui se contentent de payer une taxe de remplacement, ou encore de faire un service civil. Cela est d’autant plus vrai en Suisse où l’armée a un fort caractère fédérateur. De plus, le modèle de la Norvège, membre de l’Alliance atlantique, propose surtout un petit noyau de troupes robustes et professionnelles aptes à être déployées dans les opérations internationales. Le reste des troupes est engagé au sein d’une sorte de garde nationale fournissant un appui à la population. La Suisse encore souveraine doit au contraire garder son armée de milice robuste et apte à remplir elle-même ses missions de défense. Avec un doublement du bassin de recrutement, le service civil serait largement étendu et deviendrait sans aucun doute un égal de l’armée, celle-ci ne pouvant pas incorporer tous les citoyens en âge de l’être. Il ne peut pourtant pas y avoir égalité entre l’armée et le service civil tel qu’on le connaît aujourd’hui. Les conditions pour effectuer ce dernier sont beaucoup plus confortables, malgré une durée plus longue. Certaines tâches peuvent être effectuées dans des domaines très proches de la sphère professionnelle et donc faire l’objet d’une reconnaissance, ce qui n’est de loin pas le cas des formations militaires, exception faite des formations de cadres. La finalité des deux institutions n’est pas la même. Les uns contribuent à la sécurité de la communauté, les autres n’apportent qu’un soutien aux «affaires courantes» de la société. Un doublement du nombre de conscrits mènerait donc à une inégalité entre les militaires et tous les autres. La question principale devrait justement être l’égalité face à la contribution à la sécurité collective.

De par sa mission prioritaire, l’armée devra toujours avoir la préséance. L’égalité hommes-femmes doit découler d’une réflexion militaire et définir le bassin de recrutement selon un besoin et non l’inverse. Il est donc louable d’étendre l’obligation de servir aux femmes pour assurer le recrutement des spécialistes, mais cela ne doit être en aucun cas le seul argument. Le manque de spécialistes n’est-il pas surtout dû au trop grand nombre de jeunes qui échappent aux obligations militaires? Pour résoudre ce problème, réfléchissons surtout à limiter autant que possible les moyens d’éviter le service militaire, puisque, entre 2009 et 2013, plus de 30’000 personnes ont été attribuées au service civil, soit environ 33 bataillons d’infanterie. L’armée ne peut évidement pas prendre tout le monde, mais ceux dont elle a besoin devraient y être vraiment contraints, comme le veut le principe d’une obligation.

Un élargissement du bassin de recrutement n’est donc pas souhaitable dans le cadre d’un statu quo entre armée, protection civile et service civil tel que le propose le groupe de travail, encore moins avec une porosité accrue qui mènerait a un désintéressement d’une partie de la population et une pénalisation d’un service militaire plus contraignant. Il faut au contraire cloisonner afin de laisser à l’armée la priorité et empêcher les départs trop faciles de l’école de recrues pour des motifs souvent spécieux.

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