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Etat des lieux du populisme

Lionel Hort
La Nation n° 2052 2 septembre 2016

L'ascension des partis populistes se poursuit. A la suite des succès de l’Union démocratique du centre en Suisse et du Front national en France, le paysage politique européen continue d’être chamboulé par de nouvelles forces. Que ce soit par le biais de votations, comme le Brexit en Angleterre, ou d’élections – présidentielles en Autriche, municipales en Italie –, leur influence est partout ressentie.

Une certaine presse qualifie péjorativement de «populistes» les partis qui opposent les intérêts du peuple à ceux d’élites politiques, médiatiques et économiques défaillantes.

On peut néanmoins rattacher ce concept, né dans les démocraties modernes, aux expériences plébéiennes de la Rome antique, c’est-à-dire à la volonté subversive d’en finir avec une pratique oligarchique de la politique. A l’origine connoté à gauche, le terme est utilisé depuis la fin du XIXe siècle aux Amériques, en Russie et en France, et se rapproche de la notion de völkisch issue de la Révolution conservatrice allemande de l’Entre-deux-guerres. Il connaît enfin un regain de popularité dès la fin de la Guerre froide.

Cette période est en effet caractérisée, dans les social-démocraties occidentales, par un statu quo que les populistes entendent renverser. Bienveillance à l’égard de l’Union européenne, mépris pour les frontières et les histoires nationales, tolérance envers l’immigration de masse, multiculturalisme imposé et dérégulations diverses; les partis populistes s’en prennent à l’alternance électorale entre partis traditionnels, tantôt socialistes ou libéraux, celle-ci ayant permis à ces compromis de s’installer et de perdurer.

Pour la plupart, les partis populistes sont souverainistes. Certains partagent des préoccupations sociales et antilibérales, en étant favorables au protectionnisme et à la régulation de l’immigration. Employant volontiers une rhétorique empreinte de fermeté, voire d’autoritarisme, la majorité d’entre eux sont culturellement conservateurs, et comblent ainsi le vide laissé par la droite traditionnelle ralliée à la gauche et arcboutée dans une posture progressiste inféconde. D’autres encore se qualifient d’antisystèmes, économiquement ou politiquement, et exigent un renouvellement des personnels politiques et des institutions. Face à l’anonymat des administrations et des technocrates, notamment au sein des institutions européennes, de nombreux partis populistes sont portés et personnalisés par des figures charismatiques. Enfin, souvent absents des instances politiques nationales à cause de systèmes démocratiques représentatifs et majoritaires, de nombreux partis populistes plaident pour l’instauration ou l’adaptation, dans leur pays, de formes de démocratie directe, notamment via l’extension ou la création de droits populaires proches de ceux en vigueur en Suisse.

Souvent étiquetés «d'extrême droite», les partis populistes se déclinent pourtant en de nombreuses variantes selon les contextes nationaux. Le Front national de Marine Le Pen est économiquement jacobin et socialiste, l’UKIP1 anglais plutôt libéral. En Grèce et en Espagne, les mouvements gauchisants Syriza et Podemos sont plutôt libéraux – progressistes – du point de vue des moeurs, et favorables à l’immigration, mais néanmoins opposés aux politiques financières et commerciales libre-échangistes pratiquées actuellement en Europe; au fond, ces formations se retrouvent essentiellement dans leur défiance envers l’Union européenne.

La définition du populisme est ainsi malaisée, le concept recouvrant des réalités variées. Il est d’ailleurs rarement usité par les partis pour se définir eux-mêmes, sauf dans des appellations du type «Parti suisse du peuple». Au mieux, on peut aborder cette notion par la négative, à travers ce point central qu’est le rejet définitif des élites incarnées par Bruxelles et les gouvernements à sa botte. Car si les programmes et les propositions divergent, les partis populistes s’accordent tous sur la nécessité d’un changement de paradigme politique concernant l’avenir de l’Europe, et sur la nécessité de renverser, légalement et démocratiquement, les forces détenant actuellement le pouvoir.

Et les partis populistes semblent avoir les moyens d’arriver à leurs fins. Aux côtés des réussites politiques, les mouvements populistes menacent aussi l’hégémonie médiatique social-libérale, par exemple grâce aux réseaux sociaux et aux journaux en ligne. Des intellectuels dissidents, notamment en France, font tant bien que mal entendre leur voix dans l’espace médiatique traditionnel et dans le monde de l’édition. Des thématiques qu’on pensait oubliées définitivement resurgissent, comme le retour à un contrôle étatique des frontières ou la réintroduction d’une conscription militaire nationale, au grand dam des tenants d’un sens de l’histoire inexorable. Ce qui était impensable il y a encore quelques années s’est produit le 23 juin dernier, lorsque le Royaume-Uni a décidé par référendum de quitter l’Union européenne.

Suite à la crise économique de 2008 et à la crise migratoire de 2010, des formations qui étaient restées longtemps marginales en comparaison de leurs concurrents traditionnels sont devenues des machines de guerre politiques.

D’autres mouvements ont atteint – ou réussi à maintenir – des dynamiques électorales et des scores importants, comme le Rassemblement bleu marine de Mme Le Pen et le Front National qui, depuis 2014 et les élections européennes et régionales, réunit un tiers de l’électorat français. En Italie, le Mouvement Cinq étoiles a remporté plusieurs villes aux élections municipales de 2016, plaçant à la mairie de Rome sa jeune candidate, l’avocate Virginia Raggi. La même année, à l’occasion de l’élection présidentielle autrichienne, le FPÖ2 a réuni presque 50% des électeurs. Vicié, ce scrutin sera prochainement renouvelé et le candidat Norbert Hofer pourrait arriver au pouvoir. Ailleurs, certains pays sont déjà gouvernés par des politiques de type populiste, comme la Hongrie de Viktor Orbán et la Russie de Vladimir Poutine. Et à l’autre extrémité du monde occidental, le candidat à l’élection présidentielle américaine Donald Trump incarne lui aussi un style typiquement populiste.

Sans mentionner la Hollande, la Belgique et les pays scandinaves, il faut encore remarquer que même des petits partis, comme l’AfD3 en Allemagne, gagnent de l’influence, ou que des phénomènes connexes, comme les manifestations de Nuit Debout en France, font échos aux thèmes et aux succès du populisme partout en Europe.

On peut néanmoins se demander jusqu’où et jusqu’à quand cette dynamique perdurera.

La fascination exercée par ces mouvements sur une grande partie de l’électorat européen dépend de la capacité à se présenter comme nouvelle force, apte à remplacer des élites corrompues et dépassées. Néanmoins, une fois l’effet de nouveauté dissipé, ces partis risquent de rejoindre leurs cousins traditionnels dans le morne paysage de l’establishment.

Et tout antisystèmes qu’ils soient, ces mouvements restent des partis politiques, avec tout ce que cela implique comme défauts. Ils posent un regard factieux sur la nation, créent de toutes pièces des dissensions dans la population et sont soumis à des contradictions internes insurmontables. Au regard des moyens politiques existants, ces formations, même arrivées au pouvoir, n’ont qu’une puissance d’action réduite en proportion de leurs ambitions. Ils promettent des réformes, notamment en matière économique, qui n’ont aucune portée pratique dans le cadre étriqué d’un mandat électoral. On sait la déception qu’ont suscitée, chez ses sympathisants d’extrême gauche, les compromis d’Alexis Tsipras avec l’Union européenne, survenues pourtant après son arrivée au pouvoir en Grèce.

Le fonctionnement d’un parti implique aussi un électoralisme forcené, comportant son lot de conflits internes, de noyautages et de trahisons. Tout critiques qu’ils soient envers la corruption, sans doute bien réelle, des partis traditionnels, les formations populistes ne sont évidemment pas épargnées par elle. D’une part, la croissance rapide de certains d’entre eux a attiré nombre d’opportunistes et a engendré des mutations idéologiques incontrôlées qui divisent leur ancien électorat. D’autre part, certains partis étaient encore, il y a peu, exclusivement cantonnés dans une posture d’opposition, et leur inexpérience à l’égard de l’exercice réel du pouvoir implique pour eux la nécessité de former ou de recruter, parmi leurs cadres ou à l’extérieur, un personnel politique qualifié et crédible. Le sort du Front national est à ce propos particulièrement révélateur.

Ensuite, et c’est peut-être plus vrai encore pour les partis proprement populistes, les dérives démagogiques et les excès propagandistes sont toujours présents dans l’action politique partisane. Certes, de nombreux thèmes liés aux mouvements populistes sont a priori parfaitement défendables, mais toujours prompts à dégénérer, dans le discours ou dans la réalisation: le souverainisme devient un isolationnisme simplet, le désir de démocratie directe mute en besoin de débats constants et stériles, l’attachement aux histoires et aux traditions nationales dégénère en un identitarisme racialiste vulgaire, et la critique du système économique tombe dans un antilibéralisme grossier.

Il est ardu de tenir une ligne idéologique mesurée, surtout concernant des notions polémiques. Cela se vérifie d’autant plus au regard de l’aspect «mouvement de masse» des partis populistes. Leurs chefs et leurs cadres sont en effet souvent habiles dans l’exploitation des passions des foules, et excellents en communication politique.

Ainsi, l’origine des succès populistes est aussi à relier à la frustration et au sentiment d’impuissance politique qui règnent dans plusieurs pays européens et dans la jeunesse. Jouer sur les mécontentements causés par les crises économique et migratoire est le fond de commerce de nombre de ces partis, et si l’exploitation des frustrations est une pratique universelle en politique, se pose la question de la pérennité de telles techniques pour la conduite de politiques stables et durables. L’exaltation du sentiment communautaire et l’exploitation des passions des foules sont des carburants politiques puissants, qui siéent à des stratégies d’opposition et de contestation, mais qui peinent à engendrer des politiques gouvernementales positives.

Au fond, les partis populistes dénoncent des problèmes bien réels et défendent des projets souvent salutaires et courageux. Ils ont le grand mérite de ramener sur le devant de l’actualité des réalités que d'aucuns auraient voulu définitivement occultées, et permettent ainsi la tenue de véritables débats devant l’opinion publique.

Malgré ces qualités, la mouvance populiste reste problématique de par ses tendances et tentations excessivement plébéiennes et démagogiques, et dans son exaltation unilatérale de ce qui relève du peuple, pris comme horizontalité, face à la verticalité de l’élite. Cette dichotomie, sous-jacente dans les discours populistes, risque constamment de dégénérer, là aussi, en simple louange de la médiocrité et en défiance immature envers les détenteurs de l’autorité.

Sans abandonner leur combat contestataire, les mouvements populistes devraient s’éloigner de l’impasse de l’idéologie et de l’excès polémique, et compléter leurs argumentaires critiques de propositions plus positives. A ce travail constructif s’ajouterait la nécessité de poursuivre tant que faire se peut la création d’alliances à travers l’Europe. Ainsi, à l’abri de ses excès, la mouvance populiste serait alors pleinement en mesure d’incarner positivement la notion de peuple: une population, vivant sur un territoire donné, encadrée par des lois, des traditions et une histoire, dont la définition serait incomplète sans la présence d’une élite – politique, religieuse, artistique, etc. – issue de cette totalité organique, qui lui donne une forme en actualisant ses potentialités, ses moeurs et son génie.

Notes:

1 United Kingdom Independence Party, Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni.

2 Freiheitliche Partei Österreichs, Parti autrichien de la liberté.

3 Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne.

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