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Le mariage d’amour: un obstacle?

Valentine Perrot
La Nation n° 2052 2 septembre 2016

Lors du dernier camp de Valeyres, l’exposé1 de l’après-midi du 25 juillet fut consacré à l’étude de diverses conceptions du mariage à travers les siècles. Nous sommes partis de l’Antiquité et nous avons parcouru toutes les époques considérant l’évolution de l’institution du mariage.

Cet exposé d’une demi-heure suscita une riche discussion entre les participants. Tous avaient un avis sur la question.

Qu’importe l’âge, le sexe ou la classe sociale, toute personne se trouve une fois confrontée à cette question existentielle: le mariage d’amour existe-t-il vraiment?

D’emblée, nous avons constaté des divergences entre les opinions de notre temps et celles qui avaient cours durant l’Antiquité et le Moyen-Age.

Nous avons pris conscience de l’impact de l’individualisme et du développement personnel en vogue depuis la fin du XIXe siècle.

Les Grecs et les Romains n’incluaient aucunement les sentiments amoureux dans l’institution du mariage. Pour eux, le but de cette union visait à la continuation de l’espèce sur le long terme. Il fut également montré qu’il était courant que le mâle dominant ait plusieurs femmes, en dehors de l’union matrimoniale. Jadis, les personnes étaient subordonnées à la communauté. Une jeune femme était vouée au mariage plutôt qu’au mari de son choix. Les individus comptaient peu. Dans les sociétés antique et médiévale, les traditions et les cadres étaient des éléments fondateurs à ne pas négliger.

Dès le XVe siècle, le mariage fut reconnu comme un élément constitutif de la propriété et du lignage, du point de vue économique et social. L’union servait aux époux à s’établir dans une structure communautaire. Les gens épousaient une famille et une place, non une personne unique. L’aristocratie se mariait par devoir et les choix matrimoniaux étaient imposés par les chefs de familles influentes. L’épanouissement personnel était aussi vécu en dehors du foyer légitime. Les individus séparaient leurs sentiments de l’union maritale.

La notion de fidélité telle que nous l’entendons apparut au XVIIIe siècle, mais c’est seulement au XIXe que les gens parlèrent pour la première fois de «mariage d’amour», comme d’un mariage d’amour-amitié érotisé où tous les sentiments se mélangent. D’un point de vue économique, les mariages «intéressés» furent délaissés lors de la disparition des rentiers, les fortunes familiales se firent plus rares, les jeunes couples actifs durent subvenir eux-mêmes à leurs besoins sans dépendre d’une hérédité. Le point de chute de ce nouveau «mariage d’amour» se produisit au XXe siècle. On proclama les droits absolus de l’élection individuelle, on voulut tout laisser à l’arbitraire de l’amour. Beaucoup de mariés prirent pour une authentique passion un mélange d’attrait instinctif et d’illusion. Des mariages naquirent non de l’union intime de deux êtres, mais de la soif d’un bonheur immédiat, d’un bonheur nullement concerné par la notion de devoir. D’où le désenchantement de certains couples lorsque leur union à long terme ne correspondit pas à leurs attentes. Le débordement de liberté du XXe siècle rendit l’amour conjugal intense, mais beaucoup plus vulnérable. Le contrecoup des unions fondées sur l’attirance fut la fragilité.

Le mariage ne résout pas la question sexuelle, a-t-on dit. Cela est vrai si on absolutise la question sexuelle, si on sépare la chair de l’âme. Mais cela est faux si l’on remet la sexualité à sa place, si on la considère non plus comme un tout autonome, mais comme une partie liée à un ensemble.

L’idée du mariage d’amour était de supprimer amants et maîtresses et de faire de l’union maritale une union accomplie et indépendante de facteurs sentimentaux extérieurs, mais la société n’offre aucune recette miracle du couple épanoui à tous les points de vue. Les mariés eux-mêmes doivent trouver des dispositions favorables à la continuité de leur union.

Malgré l’évolution des moeurs actuelles ouvrant de nouvelles perspectives (le mariage gay est désormais autorisé dans certains pays), nous constatons que la famille classique en Suisse est en déclin. Les enfants nés hors mariage sont en augmentation.

Les jeunes d’aujourd’hui veulent de moins en moins prendre l’engagement du mariage parce que, pour une majorité, demander la main d’une femme signifie un renoncement à une vie de liberté tumultueuse. Certains évoquent la crainte d’un échec, une passion dévorante au commencement mais des attentes divergentes, voire incompatibles sur le long terme. D’autres encore craignent un manque de maturité de leur part. La peur de ne pas être à la hauteur des obligations qu’implique le mariage les fait reculer.

Cependant, certains couples, soucieux de l’importance de leur union, ne divorcent pas, malgré la dureté du quotidien et les obligations permanentes. Ils reviennent à la conception d’autrefois: un mariage assurant une descendance sûre ainsi qu’une stabilité financière et matérielle, sans attendre de cette union un épanouissement sentimental et sexuel.

L’institution du mariage semble en déclin, mais à notre connaissance beaucoup de jeunes (une majorité sans doute) souhaitent encore se marier et avoir des enfants, tout en étant découragés par l’abondance d’obstacles, d’ordre sentimental ou professionnel, qui se dressent devant eux.

L’homme sans limite se trouve désemparé. La société ne serait-elle pas trop tolérante en privilégiant le développement personnel de chacun au détriment de la collectivité? Ne serait-elle pas trop laxiste face aux envies de chacun en délaissant les besoins communautaires?

Voilà des questions qui suscitent la réflexion des jeunes d’aujourd’hui.

Notes:

1 Exposé et article fondés sur la lecture du livre Le mariage d’amour n’a que 100 ans, une histoire du couple, par Yves Ferroul, Odile Jacob, 2015 et Ce que Dieu a uni, de Gustave Thibon, Fayard 1962.

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