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Pour la poésie

Jacques Perrin
La Nation n° 2058 25 novembre 2016

Ce mardi 15 novembre, au Cercle littéraire de Lausanne, une aventure s’achève. Après quelques mots prononcés par M. Olivier Delacrétaz au nom de la Fondation Marcel Regamey, laquelle a lancé un concours de poésie, M. Daniel Laufer, cheville ouvrière du projet, prend la parole pour nommer les deux lauréats ex-æquo, M. Philippe Sudan, de Fribourg, et M. Edouard de Perrot, de Givrins. Il remet à chacun une feuille de chêne en bronze, ciselée par une artiste du cru. Mme Valérie Zuchuat, membre du jury, fait l’éloge de M. Sudan, alliant dans son bref exposé précision universitaire et délicatesse. Dans un style plus extraverti, M. Yves Gerhard, autre membre du jury, chante les mérites de M. de Perrot. Quelques poèmes sont lus par MM. Imperiali et Gerhard. La majesté des lieux sied aux alexandrins qui retentissent. Puis les lauréats eux-mêmes s’expriment. Enfin, l’assemblée partage ses impressions devant un verre. Tels sont les faits.

La Fondation Marcel Regamey s’est donné la mission de favoriser la production d’œuvres artistiques concourant au bien commun vaudois, destinées à l’orner en quelque sorte. Elle a eu l’audace de lancer un concours de poésie, et il faut lui en être reconnaissant. L’humanité semble être plus préoccupée par son avenir matériel que par la magie de la poésie.

L’homme augmenté récitera-t-il des vers? Un superordinateur composera-t-il un jour des poèmes plus excitants que ceux de Baudelaire?

Ne nous laissons pas tromper par les apparences. Peut-être la Fondation s’est-elle aventurée dans un paysage moins dévasté qu’on l’imagine. La poésie passionne encore. M. Daniel Laufer est un passionné. Aidé par Mme Doris Jakubec, elle-même membre du jury, il a su convaincre Philippe Jaccottet d’assurer la présidence d’honneur du concours.

Avec un enthousiasme hors norme et un entregent irrésistible (comment ne pas répondre à la moindre de ses demandes?), il a mené son affaire de main de maître. Son mérite est d’avoir insisté pour que les poètes soumettent leur inspiration aux règles classiques de la versification, leur imposant de rédiger cinq sonnets, les autorisant cependant à s’adonner aux vers libres et à la prose poétique.

Cette exigence a été diversement reçue. M. Sudan a avoué son embarras, M. de Perrot était mieux disposé (il écrit des poèmes depuis cinquante trois ans!), mais tous deux ont livré des sonnets de belle facture.

Aujourd’hui, aucun poète renommé n’écrit plus de sonnet. Le vers libre est roi. Et pourtant, comme l’écrit François Debluë, cité par M. Laufer dans son discours, on n’a pas choisi la facilité: Pour avoir renoncé aux garde-fous traditionnels (rythmes et sons réguliers, formes fixes, etc.), la poésie (…) est désormais, plus que jamais, astreinte aux mots, aux rythmes, aux sons plus exacts (…). Du dehors, les règles sont passées au-dedans.

Dans cette affaire, il faut songer aussi aux profanes qui ont soif de poésie, même à leur insu, notamment aux écoliers. Les rimes, les formes et les rythmes réguliers les attachent aux poèmes. Parmi nos élèves les plus réticents aux belles-lettres, certains ne résistent pas aux alexandrins de La Fontaine, Molière ou Baudelaire. Un acteur autodidacte comme Fabrice Luchini l’a bien compris. Il doit ses extraordinaires succès scéniques aux fables de La Fontaine, aux tirades de Molière, aux sonnets de Baudelaire. A ses débuts, Philippe Jaccottet lui-même a écrit de beaux sonnets qui peuvent séduire la jeunesse. Un poète connu et prolifique comme Jacques Réda s’astreint parfois aux vers réguliers, à plus de quatre-vingt-cinq ans. On pense ce qu’on veut de Michel Houellebecq comme écrivain et poète, mais il a su peindre en vers réguliers et rimés la banalité même des supermarchés.

Après avoir récité des fables de La Fontaine (car des maîtres plus nombreux qu’on ne croit exigent encore l’apprentissage par cœur…), certains de nos élèves s’essaient à l’alexandrin sans même que nous ne le leur demandions…

Pendant la cérémonie au Cercle littéraire, nous avons observé que deux tout jeunes apprentis-poètes, qui avaient participé au concours sans avoir été récompensés, avaient jugé bon de participer à la remise des prix et de s’entretenir avec les personnes présentes.

Cela encourage M. Laufer et le jury in corpore (dont Mme Sylvie Jeanneret que nous n’avons pas encore eu l’occasion de nommer) à renouveler l’expérience. Un deuxième épisode de La Feuille de Chêne sera tourné d’ici à 2018. Et, aiguillonnés par M. Laufer, nous ne renoncerons pas à solliciter des alexandrins de nos futurs auteurs.

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