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L’Eglise suisse n’existe pas

Olivier Klunge
La Nation n° 2059 9 décembre 2016

La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) a mis en consultation cet été auprès de ses Eglises membres un projet de nouvelle constitution. Ce projet témoigne d’une volonté de renforcer cette institution au détriment de l’autonomie des Eglises cantonales, y compris en matière de doctrine et de liturgie, domaines où la FEPS n’a aujourd’hui aucune compétence. Le projet vise une uniformisation (et donc le contrôle) des Eglises cantonales, au prétexte que «l’évolution de la société et les tendances observées par la sociologie religieuse rendent notamment ce rapprochement des Eglises membres nécessaire.»1 Le projet souffre également d’un manque crasse de rigueur juridique.

Le Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV), se fondant sur les travaux de la Conférence des Eglises romandes (CER), a publié une prise de position (encore provisoire) qui propose de corriger tous les points critiquables du projet, généralement avec une fermeté et une qualité argumentative qui n’est pas toujours la caractéristique de l’Eglise vaudoise. La précision juridique du texte de l’Eglise vaudoise doit sans doute beaucoup à la frénétique activité législative qui a suivi l’adoption du nouveau statut de l’EERV en 2003.

Nous ne sommes pas persuadés de la nécessité de modifier la charte fondamentale de la FEPS, cette dernière étant suffisamment générale pour s’adapter aux évolutions depuis son adoption. Si une révision totale devait être adoptée, nous pourrions nous rallier à la version défendue par le Conseil synodal vaudois, alors que le projet du Conseil de la FEPS est inacceptable.

Un terme trompeur

Le nom retenu par le Conseil de la FEPS pour renommer cette institution est particulièrement malheureux: «Eglise protestante de Suisse». Nous ne contestons pas que les Eglises réformées cantonales sont appelées à toujours renforcer leur dialogue et à rechercher la cohésion, ni que les moyens financiers et humains se restreignant, elles sont appelées à mettre en commun certaines activités. Pour tout cela, une fédération ou une «communion d’Eglises» selon le terme proposé par le Conseil synodal vaudois est un cadre approprié.

Utiliser le terme «Eglise suisse», c’est prétendre faire de l’Eglise une création du droit.2 Or, l’Eglise n’est pas une simple institution, c’est aussi et surtout une communauté. En particulier pour les réformés, c’est la communauté des fidèles réunis autour de son pasteur. L’Eglise réformée vaudoise est aussi une communauté. Le troupeau des fidèles se rétrécissant, elle l’est peut-être d’ailleurs plus aujourd’hui qu’hier, comme on peut s’en rendre compte à la Journée d’Eglise organisée annuellement par l’EERV depuis 2012.

Entre les réformés zwingliens de St- Gall et les calvinistes de Genève, entre la petite et dynamique Eglise minoritaire valaisanne et l’importante Eglise zurichoise soutenue par un impôt ecclésiastique opulent, il n’y a aucune vie, aucune conscience communautaire. Les différences de moeurs, d’ecclésiologie, de liturgie sont importantes. Parler d’Eglise suisse, c’est un abus de langage, pire un mensonge spirituel.

«Ni du côté du peuple de l’Eglise et de la prédication concrète de l’Evangile […], ni pour avancer l’unité de l’Eglise universelle, la création d’une Eglise réformée de la Suisse n’est désirable. Ce serait une pure construction juridique créant une unité factice sans valeur religieuse.» Ce sont les mots de Marcel Regamey qui restent vrais cinquante ans après avoir été écrits.3

Comment s’associer

A côté des Eglises membres, le projet de Conseil de la FEPS prévoit d’ouvrir un statut d’Eglise, ou de communauté associée, à des structures qui ne rempliraient pas les critères d’une admission tout en s’inscrivant dans la tradition protestante. Cette idée peut paraître généreuse, permettant d’associer à la FEPS des communautés comme Saint-Loup et Grandchamp ou encore des Eglises évangéliques libres. Ceci présuppose cependant une ecclésiologie erronée. De telles associations au niveau d’une structure suisse impliqueraient que, dans une région, il puisse y avoir deux églises sans lien ou collaboration entre elles, mais qui seraient toutes deux en communion au niveau de la FEPS. Cette vision fait à nouveau de l’Eglise une fiction détachée de sa réalité communautaire. En particulier pour les Eglises réformées, qui ne connaissent pas l’unité doctrinale assurée par le magistère papal, l’association, la communion entre deux Eglises doit se faire au niveau local.

Nous estimons que l’Eglise réformée doit s’intéresser aux communautés évangéliques libres qui fleurissent dans nos contrées et qu’elle gagnerait à chercher, là où cela est possible, à leur tendre la main. Ce travail doit se faire localement, entre paroisse et au sein de l’EERV, et pas entre deux fédérations s’exprimant au plan des principes par des déclarations d’intention.

Une Eglise suisse, européenne ou mondiale n’est pas ontologiquement plus proche de l’Eglise universelle instituée par le Christ que l’Eglise réformée vaudoise. Le christianisme est une religion d’incarnation. Un mouvement de centralisation qui n’est pas le résultat d’une unité de foi, d’une communion ecclésiale durable, s’éloigne de l’unité de l’Eglise œcuménique.

Notes:

1 Introduction au Projet de Constitution, p. 4. Ce document, comme la réponse du Conseil synodal de l’EERV, sont accessible sur le lien: www.eerv.ch/documents/consultation/.

2 Le Conseil synodal affirme la souveraineté de l’Eglise vaudoise dans sa prise de position, démontrant déjà juridiquement la différence de statut entre les Eglises cantonales et leur fédération.

3 «L’Eglise “suisse”», 24 septembre 1966, in: Le Temps de la patience, CRV, p. 200.

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