Le PDC contre la liberté de l’Eglise?
Le président du Parti démocrate-chrétien (PDC) Gerhard Pfister a fait une série de déclarations remarquées concernant l’islam et, plus généralement, les religions. Le Zougois parle d’introduire un nouvel article constitutionnel fédéral: Tout part de l’initiative populaire qui veut interdire la burqa. Comme on le sait, elle a de très bonnes chances d’être acceptée. Cela est très problématique car le texte ne résout pas la vraie difficulté, soit le fondamentalisme religieux qui menace l’Etat de droit. Notre article constitutionnel porterait donc sur le fondamentalisme, et pas sur la religion. 1
Actuellement, la Constitution fédérale prévoit que les relations entre l’Eglise et l’Etat sont essentiellement du ressort des cantons (article 72 Cst. féd.). L’introduction de ce nouvel article risquerait donc de révolutionner notre ordre juridique et de violer de manière crasse le fédéralisme. Il est entendu que la réglementation de ces rapports est une compétence naturelle et historique des cantons. Toutefois, notre propos n’est pas de gloser sur une hypothétique initiative populaire dont on ignore la teneur, mais plutôt de nous interroger sur un aspect particulier de la philosophie politique actuelle du PDC.
Récemment, dans La Liberté, Gerhard Pfister a fait cette déclaration: L’Etat doit pouvoir limiter la liberté de culte, donc aussi celle des communautés musulmanes. Il devrait être interdit de ne pas respecter les lois suisses au nom de la liberté de la foi. Ce n’est pas tolérable.»2 De plus, dans 24 heures, le conseiller national affirme que «la foi chrétienne a évolué durant le siècle des Lumières. Le Concile Vatican II a mis à plat les relations entre l’Eglise et l’Etat. Les catholiques doivent respecter les décisions démocratiques qui limitent la pratique de la foi. Je ne vois pas cette discussion dans l’islam. »3
Ces déclarations ne laissent pas de nous surprendre de la part d’un président du PDC suisse.
En effet, la revendication par l’Eglise de la liberté d’exercer sa mission indépendamment des autorités temporelles est un élément capital de la doctrine chrétienne des relations Eglise-Etat. Le magistère affirme que «parmi les choses qui concernent le bien de l’Eglise, voire le bien de la cité terrestre elle-même, et qui, partout et toujours, doivent être sauvegardées et défendues contre toute atteinte, la plus importante est certainement que l’Eglise jouisse de toute la liberté d’action dont elle a besoin pour veiller au salut des hommes »4. Les droits revendiqués par l’Eglise relèvent de ses trois fonctions, disciplinaire, liturgique et missionnaire.
En tout état de cause et contrairement à ce que prétend le conseiller national, selon le Concile Vatican II, la Libertas Ecclesiae est un principe fondamental dans les relations de l’Église avec les pouvoirs publics et tout l’ordre civil 5.
Nous partageons largement les craintes ou réserves que Gerhard Pfister peut formuler à l’endroit de l’immigration musulmane. Toutefois, le moyen proposé par le président du PDC, qui consiste à «encadrer» par une législation fédérale – donc abondante – les religions, nous semble néfaste. La liberté des Eglises historiques serait certainement limitée, au moins sur le principe, sans pour autant forcément résoudre efficacement le problème islamique.
Il convient de rappeler qu’un abîme sépare le christianisme et l’islam: l’Etat ne peut pas avoir les mêmes relations avec les deux.6 D’ailleurs, la Constitution vaudoise ne traite pas de la même manière les Eglises traditionnelles, reconnues de droit public, et les autres communautés religieuses. Ce traitement inégal trouve aussi sa justification dans notre histoire.
Pour lutter contre l’avancée islamique en Suisse, la solution consiste plutôt à réaffirmer nos us et coutumes. Il semble opportun de clarifier ce que nous voulons admettre ou au contraire interdire dans notre ordre public. Au besoin, les libertés publiques devront être précisées dans nos lois.
Notes:
1 «L’offensive religieuse du PDC se précise» in: La Liberté du 5 novembre 2016.
2 Idem.
3 «Au-delà de la burqa, il faut une loi pour encadrer les religions» in: 24 heures du 2 septembre 2016.
4 Concile Vatican II, Dignitatis Humanae, no 13; Léon XIII, lettres Officio sanctissimo et Ex litteris.
5 Concile Vatican II, Dignitatis Humanae, no 13.
6 Sur cette question, nous renvoyons à l’article d’Olivier Delacrétaz «L’islam, le christianisme, la laïcité» in: La Nation no 1966 du 3 mai 2013.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Le paysan, paria de la modernité – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Une vision réaliste des transports – Jean-François Cavin
- Où mène la haine des nations… – David Rouzeau
- Elie Gagnebin, géologue et ami des artistes – Jean-François Pasche
- L’Eglise suisse n’existe pas – Olivier Klunge
- Réabonnement: La Nation devient aussi électronique – Rédaction
- Ces étrangers qui ne le sont plus – Jean-François Cavin
- Pour François Rossel un chef-d'œuvre typographique – Bertil Galland
- Molasse et politique – Yves Gerhard
- Ça se trompe énormément – Le Coin du Ronchon