Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Pour François Rossel un chef-d'œuvre typographique

Bertil Galland
La Nation n° 2059 9 décembre 2016

L’année ne s’est pas achevée, en poésie, sans un événement qui relève de l’art le plus exigeant. Une publication à la mémoire de François Rossel (1955-2015) est parue dans une exceptionnelle harmonie de la typographie, des chagrins exprimés, des images et paroles. A Paris, voici un an, Le Monde rendit compte de la disparition précoce de l’enseignant de Moudon qui découvrit dans la débâcle des imprimeries une petite presse à bras et quelques casses pleines de caractères. Il lança des publications artisanales. Les éditions Empreintes, portant le nom d’un de ses propres recueils, ont grandi. Elles sont respectées parmi les meilleures collections de langue française exclusivement vouées aux poètes de maintenant. Ce miracle du bout des doigts fut l’œuvre d’un cœur humble et d’une fine exigence, dans une complicité lyrique avec Alain Rochat et Olivier Beetschen.

Paradoxalement, ce n’est pas à cette enseigne que vient de paraître le mémorial pour François Rossel, mais dans Le Persil, par la complicité efficace de Marius Popescu. Celui-ci, dans un autre miracle, n’est pas seulement un écrivain qu’on voit, pour son gagne-pain, au volant des trolleybus de Lausanne et qui expédie de ses propres mains sa publication littéraire. Il a développé avec panache son journal de grand format, dépassant les cent numéros, réussissant où d’ordinaire les lanceurs de revues lémaniques s’essoufflent. Il sait ouvrir ses pages aux mouvements d’écriture les plus divers, fait tirer son journal en Roumanie, reçoit ses ballots par les cars assurant la liaison Bucarest-Lausanne. Il faudra parler un autre jour des poèmes de Popescu lui-même, décrivant en fulgurances stylistiques les scènes quotidiennes des rues lausannoises, mais louons ici la générosité de cet écrivain, qui a l’intelligence de s’entourer de comparses efficaces. La mise en page du numéro triple sur François Rossel, en célébration de ce frère poète, a été confiée à Daniel Vuataz et c’est un chef-d'œuvre.

Pour dresser une stèle au défunt, on n’a donc pas choisi la plaquette ni l’in-octavo mais recouru au format de Persil, à cette ampleur vertigineuse quand nous saisissent la sobriété de textes qui respirent dans leur espace et de vastes photographies imposant le recueillement. Une écharpe librement nouée au cou de Rossel souligne son visage rêveur, rieur et touchant, une présence forte et sans pose. On voit la main qui apprit à manier avec soin les caractères de plomb comme elle avait noté en toute modestie ses poèmes, ces simples mots: «La graine germant dans notre plaie nous fait don de sa fleur» ou «Poser un pas comme sur l’envers du chemin».

Page après page, qu’on tourne avec un geste en arc, nous découvrons tout le blanc qu’il faut pour faire chanter les gris et les bistres et voici réunis en ce deuil quelques-uns de nos meilleurs poètes avec l’hommage et l’affection de chacun pour le disparu, Pierre-Alain Tâche, José-Flore Tappy, François Debluë, Pierre Chappuis, Alexandre Voisard, bien d’autres, avec un rappel de Maurice Chappaz qui en 1985 avait choisi Empreintes, et Rossel, pour faire paraître après la mort de Corinna Bille ses lignes les plus intimes, récits et méditations du Livre de C. Ainsi prit son plein envol la maison d’édition. Puisse-t-elle survivre.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: