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Nouvelles du Chablais

Cédric Cossy
La Nation n° 2062 20 janvier 2017

Le Chablais bouge. Cette région à la périphérie des cantons de Vaud et du Valais a vu sa population augmenter de 22% les derniers dix ans1 : les prix stratosphériques des logements sur la Riviera vaudoise poussent de nombreux travailleurs à s’établir en amont et à penduler. De par leur extension, les agglomérations de Muraz, Collombey et Monthey sont maintenant conjointes.

Les infrastructures approchent de la saturation. Le trafic automobile progresse deux fois plus vite que le nombre de résidents. Les parkings de transition près des gares CFF sur la ligne du Simplon sont surpeuplés. Le verrou de la porte du Scex a sauté grâce à l’ouverture de la H144, mais la traversée des Evouettes reste problématique. L’évitement souterrain en préparation déplacera le goulet à l’entrée du Bouveret. De longs bouchons se forment tous les soirs aux sorties d’autoroute en direction de Monthey et du val d’Illiez. La toute récente modernisation de la ligne AOMC, avec une amélioration substantielle du service entre Aigle et Monthey, ne semble pas avoir convaincu beaucoup de pendulaires d’abandonner leur voiture.

Le projet de troisième correction du Rhône est à l’étude. Une renaturation partielle va chambouler le paysage et les affectations de zones. Les travaux prévus soulèvent la question de l’assainissement d’anciennes décharges communales adossées aux digues du Rhône. On parle aussi d’installer un nouveau barrage et quelques turbines au niveau de Massongex. Les discussions seront encore longues…

L’agriculture connaît les mêmes problèmes que dans le reste de la Suisse. Les exploitations sont condamnées à croître et à se rationaliser pour survivre. Des exploitations familiales ne sont pas transmises, faute d’intérêt des descendants ou par besoins en investissements trop importants. La compétition règne pour chaque bail à fermage à remettre. L’horticulture vuargnérane vivote face à la concurrence africaine ou hollandaise. En revanche la viticulture semble tirer son épingle du jeu.

L’activité industrielle est à la peine. La raffinerie de Collombey a fermé avec fracas en 2015. Les installations sont intactes, mais leur redémarrage semble impossible après le licenciement de son personnel qualifié et au vu des conditions du marché. Des fleurons de la construction métallique établis à Aigle et Bex toussent face à la concurrence payée en euros. Avec l’afflux des nouveaux résidents, le bâtiment va bien, mais l’effet de frein induit par la LAT commence à se faire sentir. L’industrie chimique et pharmaceutique tient bon pour l’instant. L’antenne montheysane de BioArk, fondation favorisant l’accueil de startups en biotechnologie, connaît quelques beaux succès, mais peine à remplir son extension ouverte en 2015.

Le développement des surfaces bâties ne fait pas bon ménage avec les impératifs de sécurité des transports. La route desservant l’usine chimique de Monthey, construite en rase campagne il y a quarante ans, est maintenant bordée de zones d’habitation et de commerces. Les convois ferroviaires de matières dangereuses accèdent au site via deux points de rebroussement situés dans les agglomérations de Saint-Maurice et de Monthey. Un projet régional de terminal pour conteneurs, permettant le transfert rail-route au sud de l’usine, est à bout touchant.

Les communes d’altitude n’ont pas échappé à la hausse démographique. De nombreux retraités anglophones se sont établis à Champéry, Gryon et Villars. Ces résidents sans enfants ont parfois démenti la planification des infrastructures: surdimensionné, l’établissement scolaire de Villars accueille une partie des enfants de Gryon. Le tourisme fait d’immenses efforts pour tenir contre l’euro faible et les Noëls au balcon. Les sociétés exploitantes de remontées mécaniques ont massivement investi mais tirent la langue pour rentabiliser leurs équipements.

La construction à Rennaz de l’Hôpital Riviera-Chablais est lancée. Le début de l’exploitation de ce nouveau paquebot de la santé est prévu pour la fin 2018. L’hôpital d’Aigle sera fermé; Monthey conservera une permanence médicale, le reste des infrastructures sera adapté à sa nouvelle vocation gériatrique.

* * *

C’est dans ce contexte qu’il faut placer le projet Chablais Agglo, élaboré par les communes d’Aigle, Bex, Collombey- Muraz, Massongex, Monthey et Ollon. Ce projet transcantonal a la claire ambition de drainer les subsides fédéraux pour financer tout ou partie des nonante-trois mesures devisées à 131 millions. Cette troisième mouture du projet a été déposée en décembre dernier auprès de l’Office fédéral du développement territorial, après un soutien partiel des mesures soumises dans la version de 2011.

Il n’est pas aisé d’identifier les grands axes parmi les centaines de pages de langage boisé décrivant la future «agglomération multipolaire et interconnectée». Le dossier présente tout de même le mérite d’une approche cohérente, conforme à la LAT et aux plans directeurs cantonaux vaudois et valaisans du développement de la région. Le comité de pilotage, regroupant des représentants des autorités communales et cantonales, est une plateforme crédible pour assurer la coordination, au moins sur le plan chronologique, des réalisations.

A côté des mesures d’aménagement des centres-villes on trouve une promotion exagérée de la mobilité douce, intéressante pour quelques mollets véloces seulement: Aigle-Monthey, c’est 10 km, souvent par vent contraire… Les mesures touchant le transit intercantonal sont prédominantes. On prévoit un nouveau pont routier en aval de la SATOM, des nouvelles lignes de bus et une modification du tracé de l’AOMC sur sol valaisan, afin de réduire le temps de trajet et augmenter la cadence entre Aigle et Monthey.

La répartition des projets n’est pas équilibrée: deux tiers du financement concernent la rive gauche du Rhône, plus de la moitié pour la seule ville de Monthey. Ceci se comprend pour deux raisons. La première est la meilleure desserte routière et ferroviaire de la rive vaudoise, qui ne nécessite pas d’extension majeure de son infrastructure. La seconde tient au dynamisme des Valaisans, qui ont la haute main sur le Bureau d’agglomération, organe opérationnel du projet. Faire des reproches à nos voisins à ce sujet serait déplacé: les bénéfices pour les communes vaudoises devraient être supérieurs à ceux auxquels elles pourraient prétendre par des efforts individuels.

On peut tout au plus regretter le manque de vision et d’ambition sur la rive droite. Pourquoi les Vaudois n’ont-ils jamais avancé une variante du terminal marchandise rail/route à Saint-Triphon? L’infrastructure ferroviaire existe, elle est proche de la sortie autoroutière et évite le rebroussement de Saint-Maurice. Pourquoi avoir accepté de limiter le projet d’agglomération aux zones communales en-dessous de 550 m d’altitude? Ce compromis laisse Bex et Ollon bien seuls avec ses problèmes de desserte, de gestion et de développement des hameaux d’altitude.

On vous l’a dit: le Chablais bouge. Mais tout comme pour la Broye, on assiste à la satellisation d’une zone périphérique, qui fonde son développement sur une identité locale transfrontalière. Ceci est à la fois cause et conséquence d’un affaiblissement du sentiment d’appartenance au Canton. Les autorités vaudoises devraient s’en préoccuper avant que leur zone d’influence légitime ne se réduise au grand Lausanne.

Notes:

1 21% dans le district d’Aigle, 24% dans celui de Monthey.

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