Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

La droite et la gauche: un couple diabolique

Denis Ramelet
La Nation n° 2063 3 février 2017

Presque cinquante ans après la parution de La gauche et la droite de Marcel Regamey1, Olivier Meuwly, le plus philosophe des libéraux- radicaux vaudois actuels, revient sur ce couple diabolique – qui hante la vie politique depuis le 28 août 1789 (vote sur le veto royal) – en publiant l’automne passé La droite et la gauche. Hier, aujourd’hui, demain. Essai historique sur une nécessité structurante2.

Il s’agit effectivement d’un essai historique: sept chapitres historiques (allant de la Révolution à nos jours) sont encadrés par un chapitre introductif et un chapitre conclusif plus théoriques. Les sept chapitres historiques sont remarquablement synthétiques et faciles à lire. Nous en recommandons la lecture aux personnes désireuses d’avoir une vue d’ensemble de l’évolution des idées et des forces politiques au cours des deux derniers siècles, non sans émettre toutefois une réserve importante: ces chapitres contiennent bien des appréciations que nous estimons discutables, qui découlent logiquement des options philosophiques développées dans les deux chapitres théoriques. Ce sont ces options philosophiques que nous aimerions discuter dans la suite de cet article.

La première de ces options est celle en faveur du libéralisme politique, jamais avouée explicitement dans l’ouvrage. Tout au plus l’auteur écrit-il dans le chapitre introductif: «Nous nous intéresserons beaucoup à la pensée libérale […]». De fait, le libéralisme est le courant politique auquel il est fait référence le plus souvent tout au long de l’ouvrage, et de loin. Jacques Guyaz ne s’y est pas trompé, qui qualifie M. Meuwly de «héraut libéral» dans sa recension intitulée «A la recherche du libéral perdu», parue sur le site de Domaine Public3. M. Guyaz écrit en outre: «[…] Les intellectuels romands ont largement déserté la droite helvétique modérée et dans ce désert de la pensée [les] seuls vrais interlocuteurs [de M. Meuwly] sont à gauche.» Nous souhaitons, par notre propre recension, démentir l’affirmation quelque peu téméraire de M. Guyaz.

M. Meuwly nous semble se contredire au sujet du positionnement du libéralisme sur l’éventail politique. Le libéralisme est-il à droite ou au centre? M. Meuwly commence par dire, à la suite de Norberto Bobbio, que la gauche met l’accent sur l’égalité alors que la droite «d’obédience libérale ou conservatrice» met l’accent sur la liberté. Vers la fin de l’ouvrage, il écrit à nouveau que «la droite reste empêtrée dans une lutte sourde entre son pilier conservateur […] et son pilier libéral». Le libéralisme serait donc à droite. Pourtant, M. Meuwly écrit aussi dans le chapitre introductif que «la pensée libérale […] semble incarner cette dialectique complexe qui s’est installée entre droite et gauche, comme un lieu de passage cardinal entre les idéologies» et, de nouveau vers la fin de l’ouvrage, il est question du «vrai libéralisme, à la charnière entre la droite et la gauche». Cette fois, le libéralisme serait donc au centre. Essentiellement, le libéralisme ne peut pas être à la fois à droite et au centre, il faut choisir.

Historiquement, le libéralisme a été de gauche pendant la première moitié du XIXe siècle, quand il n’avait pas encore sur sa gauche le pôle socialiste et avait seulement sur sa droite le pôle conservateur. Le libéralisme a été de droite pendant la guerre froide, quand le pôle conservateur sur sa droite avait pratiquement disparu et qu’il avait seulement sur sa gauche le pôle socialiste. Quand le pôle conservateur et le pôle socialiste sont tous les deux présents, comme ce fut le cas pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et comme c’est de nouveau le cas aujourd’hui, le libéralisme occupe tendanciellement le centre, où il bénéficie d’un positionnement stratégique lui permettant de s’allier tantôt avec la droite contre la gauche, tantôt avec la gauche contre la droite.

Qu’est-ce qui retient alors M. Meuwly d’affirmer sans réserve la nature tendanciellement centriste du libéralisme? Il semble que ce soit un préjugé hégélien – l’hégélianisme est en effet la seconde option philosophique implicite de M. Meuwly – contre «le centre [qui] ne veut pas dépasser les antinomies qui le constituent dans une synthèse supérieure, étape régénératrice de l’opposition antérieure et créatrice d’un nouveau modèle politique». C’est selon nous cette hésitation quant au positionnement du libéralisme qui explique ce que M. Guyaz constate à juste titre, à savoir que M. Meuwly «apparaît beaucoup plus à l’aise pour décrire, souvent avec clarté, les méandres de la gauche que les labyrinthes, parfois obscurs, de la droite».

Une autre affirmation paradoxale est également révélatrice des options libérale et hégélienne de M. Meuwly. Celui- ci écrit: «[…] L’opposition gauche-droite est immanente à l’essence du politique, […] elle a accompagné son développement depuis la Révolution française […]». L’opposition gauche-droite étant apparue lors de la Révolution française, est-ce à dire qu’il n’y avait pas de politique jusqu’alors? Ce serait un peu gros.

Ce que M. Meuwly veut dire en réalité, c’est que la divergence des intérêts et des opinions est inhérente à la vie politique, l’opposition gauche-droite étant la forme que prend cette divergence dans le système parlementaire issu de la Révolution. Il écrit en effet quelques lignes plus bas qu’il y a «toujours au moins deux» opinions et, dans le chapitre conclusif, qu’«il y a toujours au moins deux façons de comprendre le monde et son devenir».

Ces divergences sont-elles irréductibles? Faut-il renoncer à les faire converger? C’est ce que semble croire M. Meuwly: «Rémanente fut la conviction de pouvoir évacuer ces deux bornes [gauche et droite] pour les remplacer par une approche plus fluide de l’action politique, dictée par les seuls impératifs du bien commun. Mais qu’est-ce que cet intérêt général si souvent brandi comme guide suprême de l’acte politique pris en lui-même? Sa détermination ne ressortit- elle pas elle-même d’une vision au moins duale de la politique?»

Contrairement à M. Meuwly, nous considérons qu’il revient à l’autorité politique de faire converger les intérêts divergents qui, sans cela, risquent de se muer en ferments de guerre civile. Cette autorité bienfaisante n’est pas réservée aux régimes monarchiques: il suffit de penser à un Périclès ou, plus près de nous, à un Vaclav Havel ou un Léopold Sédar Senghor. Des hommes non pas «providentiels», mais simplement au-dessus de la mêlée.

Notes:

1 Marcel Regamey, La gauche et la droite, Cahiers de la Renaissance vaudoise, n° 50, 1968.

2 Olivier Meuwly, La droite et la gauche. Hier, aujourd’hui, demain. Essai historique sur une nécessité structurante, Slatkine, 2016, 211 pages.

3 www.domainepublic.ch/articles/30093/comment-page-1

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: