L’heure du bilan
Les pouvoirs fédéraux ne sont guère habitués aux exercices d’autocritique; une fois une orientation politique choisie, une politique publique engagée, on va de l’avant sans plus se poser de questions. On attend toujours, par exemple, un bilan des conséquences de l’application unilatérale par la Suisse du principe du Cassis de Dijon.
Le journaliste François Schaller innove en la matière. Ce dernier a en effet lancé fin septembre un programme de recherche1 sur la politique extérieure de la Suisse à l’égard de l’Union européenne, plus précisément sur les Bilatérales I, l’accès au marché européen, la clause guillotine et Erasmus. Il est venu le présenter lors d’un Entretien du mercredi. Jusqu’à maintenant, M. Schaller a identifié quatre types d’approches plus ou moins cohérentes à propos des relations entre la Suisse et l’Union européenne.
On trouve d’une part le camp «soumissionniste»; celui-ci est identitaire lorsqu’il rassemble les partisans d’une collaboration avancée de la Suisse avec l’Union, voire d’une adhésion de la première à la seconde, au nom de valeurs européennes communes. Le Parti socialiste et le NOMES raisonneraient de cette manière. Les soumissionnistes non identitaires soutiennent une collaboration, intense ou non, avec le système européen au nom des rapports de forces et d’un pragmatisme de circonstance. On retrouverait ici une partie des milieux économiques et patronaux.
Il y a d’autre part le camp «souverainiste»; celui-ci est lui aussi identitaire s’il défend l’indépendance de la Suisse pour des motifs principalement culturels, nationalistes ou populistes; l’UDC et l’ASIN en seraient les principaux représentants. Le souverainisme non identitaire défend quant à lui la souveraineté helvétique pour des motifs plus pragmatiques, essentiellement économiques et politiques: scepticisme quant aux bienfaits réels de la libre circulation des personnes tant d’un point de vue économique qu’écologique, attachement à la démocratie directe considérée uniquement comme fonctionnelle à l’échelle réduite de la Confédération, etc. Outre François Schaller, on retrouverait ici les positions du radical-libéral genevois Benoît Genecand.
La démarche de fact-checking de M. Schaller s’inscrit donc dans cette dernière perspective. Il faut dire qu’à chaque votation concernant la politique extérieure de la Suisse, les intervenants sont toujours les mêmes – l’UDC contre la gauche et une partie de l’économie – et les argumentaires toujours figés. Selon ses promoteurs, l’approche souverainiste non identitaire permettrait d’éclairer ces problématiques sous un autre angle, et, espérons-le, d’amener de nouveaux arguments, plus factuels et concrets, à un débat enlisé dans les partis pris sans issue.
Gageons que François Schaller mènera son projet avec l’intégrité et le courage intellectuel dont il a souvent fait preuve en abordant ces questions médiatiquement périlleuses – et espérons que des initiatives similaires pourront voir le jour à la suite de celle-ci.
Notes:
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- La marche sans fin des féministes – Editorial, Olivier Delacrétaz
- No Billag – Olivier Delacrétaz
- Considérations d’un Vaudois échaudé sur la révision de la Constitution valaisanne – Xavier Panchaud
- A propos du plan financier cantonal – Jean-François Cavin
- André Paul ou le dessin comme élixir de longue vie – Jean-Philippe Chenaux
- La nostalgie de l’honneur – David Rouzeau
- Le foie gras relève de la souveraineté des cantons – Le Coin du Ronchon