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Une occasion manquée

Henri Laufer
La Nation n° 2122 10 mai 2019

La presse s’est fait l’écho ces dernières semaines de la parution du dernier livre de Shafique Keshavjee intitulé L’islam conquérant1.

L’auteur, né en Afrique dans une famille indienne musulmane, a grandi à travers le monde avant d’arriver en Suisse. S’étant converti au christianisme, il a fait ses études de théologie, puis son doctorat, il a été pasteur avant de devenir professeur à la faculté d’histoire des religions et de théologie de Lausanne, qu’il a quittée, puis est devenu professeur à la nouvelle Haute Ecole de Théologie protestante qui a ouvert récemment ses portes à Saint-Légier. Il est à l’origine de la maison de l’Arzillier, soit le lieu du dialogue interreligieux à Lausanne.

Son livre comprend trois parties, la première est consacrée à la diversité de l’islam. L’auteur y expose que l’islam connaît des pratiques très diverses entre des tendances plutôt spirituelles, comme le soufisme, ou laïque, ou culturelle, ou radicales révolutionnaires, comme l’Etat islamique, ou radicales conquérantes, comme les Frères musulmans.

La deuxième partie traite directement du sujet, à savoir l’islam conquérant. L’auteur y décrit un islam pensé comme un système suprême ayant vocation de se répandre partout dans le monde, il met en évidence quinze directives qui façonnent, selon lui, la propension de l’islam à transformer toute terre qu’il occupe en terre d’islam. Il expose quelques mécanismes tels que celui de rendre très simple l’entrée dans cette religion et la sanction extrême pour qui veut en sortir (sourates II, 217, ou IX, 113, ou XVI, 106) ou encore le principe selon lequel tout mariage mixte doit aboutir à une descendance musulmane (sourate II, 87 ou V, 5).

Dans la dernière partie, Shafique Keshavjee reprend ses quinze directives et fait une comparaison sommaire entre les solutions proposées par le christianisme et celle proposée par l’islam, et si les solutions problématiques proposées par l’islam ressortent des textes, celles qu’ont parfois adoptées les chrétiens et qui peuvent poser problème sont le résultat d’une lecture indéfendable de l’Evangile. En résumé ce dernier chapitre est clairement apologétique.

Le livre se termine sur plusieurs questions notamment celles qu’il pose aux musulmans: comment neutralisez-vous et abrogez-vous définitivement tous les textes musulmans normatifs qui appellent à dominer et à haïr les non-musulmans ? sur quelles fondations pourrons-nous créer un avenir commun, libre et paisible ?

Ce livre n’est pas un ouvrage de vulgarisation, il n’est pas une thèse, ni un essai, il est assez difficile à classer et on peut peut-être le voir comme une prise de position dans une conjoncture inquiétante où, d’un côté, l’emprise croissante de l’islam dans de nombreuses grandes villes d’Europe est évidente et, d’un autre côté, les autorités tant civiles que religieuses nient cette islamisation ou, plus grave encore, l’encouragent.

Cette réalité a été vérifiée dans l’accueil négatif que les milieux académiques et religieux ont réservé à ce livre.

Le 29 avril dernier, l’Espace culturel des Terreaux a organisé un débat autour des questions soulevées par cet ouvrage. Devant un auditoire d’environ 300 personnes, deux musulmans faisaient face à deux chrétiens en l’absence de l’auteur, avec lequel les organisateurs n’étaient pas parvenus à trouver les modalités d’un débat équitable.

Du côté musulman, la présidente de l’UVAM n’a pas craint d’avouer n’avoir tout simplement pas fini le livre, mais son contenu l’a quand même peinée (sic); puis le professeur d’histoire de l’islam Wissam Halawi s’est lancé dans un long exposé sur les sources incertaines de l’islam et de la biographie de Mahomet, voulant probablement arriver à la conclusion que, si les sources étaient si peu fiables, les attaques fondées sur ses sources l’étaient tout autant. J’imagine que c’était sa conclusion, sinon je ne me figure pas à quoi correspondait cet exposé, mais il est sûr, que ni l’un ni l’autre de ces deux intervenants n’avaient l’intention de répondre aux questions de Shafique Keshavjee.

Mireille Valette est intervenue pour citer assez longuement le poète et grand penseur musulman Abdelwahab Meddeb qui disait notamment qu’il fallait expurger de l’islam des mots tels que jihad ou charia, qu’il fallait renoncer au port du voile, qu’il fallait neutraliser le concept de guerre dans l’islam.

Wissam Halawi a salué le poète et grand penseur musulman et, sur le fond, il s’est contenté d’un incroyable et minuscule: chacun pense ce qu’il veut (sic). Avec un tel argument, on se demande à quoi ça sert de discuter.

Du côté chrétien, on avait le professeur de sociologie des religions Philippe Gonzalez et le théologien et homme de radio Michel Kocher. Sans grande hésitation, Philippe Gonzalez recueille la palme de la plus mauvaise prestation de cette soirée: après quelques allusions fielleuses sur le manque de sérieux de l’ouvrage et sur l’intention incompréhensible de l’auteur, le malheureux professeur a cru bon de chercher à démontrer que le président américain Donald Trump avait été élu grâce au soutien des milieux évangéliques américains et que, si violence il y avait, c’était d’abord dans le christianisme qu’il fallait la chercher. On ne peut que s’extasier devant l’audace d’une pensée aussi détachée de toute réalité.

Heureusement, Michel Kocher, sortant de son rôle de journaliste, a remis les questions soulevées par Shafique Keshavjee au centre du débat, affirmant en particulier la nécessité de les traiter et de leur trouver une réponse. Il a aussi eu le courage de dire publiquement à Philippe Gonzalez que de ne pas s’intéresser à l’intention de l’auteur et de chercher à le disqualifier sur la base de ses seules tendances évangéliques relevait pour le coup d’un fondamentalisme tout aussi condamnable que celui que Philippe Gonzalez voulait dénoncer chez Shafique Keshavjee. Michel Kocher a été applaudi par l’auditoire.

A l’issue de la soirée, le débat m’a laissé un sentiment d’une occasion de dialogue manquée, manquée par les musulmans qui se dérobaient et par les chrétiens qui n’osaient pas poser les questions qui dérangent.

Notes:

1  Edition IQRI Institut pour les Questions Relatives à l’islam, janvier 2019, 231 p.

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