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Carabistouilles

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2127 19 juillet 2019

Devant moi, un lugubre bahut noir se traîne avec des pointes à 45 km/h chrono. Derrière les vitres fumées, impossible de distinguer quel abruti a décidé de mettre au pas toute la colonne. Il a dû lire un article sur la conduite autonome et se croit dispensé de piloter son encombrant conteneur. Que fait-il? Un autocollant indique qu’il y a des enfants à bord. Ça, c’est la leçon de morale à l’intention de ceux qui suivent, et qui ont tout le temps de la méditer. Sûrement que le monsieur joue aux Lego avec sa progéniture, qu’il regarde un dessin animé, qu’il organise un pique-nique, que sais-je? Et pas un des loupiots pour expliquer à leur papa que vert, ça veut dire qu’on peut passer.

J’étais donc au comble de l’exaspération quand je me concentrai sur le nom du SUV disgracieux qui me dérobait toute perspective d’avenir: Koleos. Les stratèges commerciaux ont sans doute pensé au gabarit valorisant de l’objet (colosse), à sa robustesse (K comme kostaud), peut-être à des vacances en Grèce, lorsqu’ils ont fixé leur dévolu sur ces syllabes improbables. Quant à moi, je finis par retrouver ma bonne humeur, en avisant que le mot, à l’initiale près, avait une intéressante signification dans la langue de Virgile. Je m’amusai à composer cette petite phrase en latin de cuisine: Coleos habes in coniugali actu sed non pro velocitate ignobilis carri tui. (Tu en as pour faire des gosses, mais pas pour faire avancer ton immonde caisson). Je poursuivis donc ma route à l’allure d’un vélomoteur avec un sourire mauvais accroché aux lèvres.

Autrefois, les productions de la marque du modèle sus-mentionné avaient des noms charmants et évocateurs: Dauphine, Prairie, Frégate, Caravelle, Floride… Aujourd’hui, la mondialisation veut des mots prononçables dans tous les idiomes. Pour éviter de fâcheuses associations verbales, beaucoup de constructeurs ont recours aux lettres et aux chiffres: 328i, 5008, RS3… C’est prudent et mystérieux, mais ne met pas à l’abri de surprises: Toyota vendait naguère un coupé sportif baptisé MR2. On pardonnera à des Japonais d’ignorer que l’énoncé à haute voix dans la langue d’Alfred Jarry a un effet aussi calamiteux que le regrettable patronyme d’une de nos conseillères fédérales. Mais que dire d’Audi qui s’obstine à proposer ses modèles électriques et hybrides, prétendument propres, sous l’appellation e-tron? Des bouses à roulettes? Non merci! lancerons-nous en claquant la porte du concessionnaire, nous préférons la distinguée Alfa Romeo Giulia.

Les autres langues ne sont pas à l’abri de choix déplorables: Mitsubishi commercialise un 4X4 baptisé Pajero, qui est une injure carabinée en espagnol: «¡ No tienes permiso, estúpido pajero! T’as pas le permis, espèce de branleur!» Allez, je vous souhaite un bel été, mais avant de partir en vacances, vérifiez quand même le petit nom de votre titine, afin de ne pas être la risée des autres usagers de la route. Visez plutôt la Suède si vous n’avez pas encore revendu votre Pajero.

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