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Hommage à Roger Francillon

Lars Klawonn
La Nation n° 2131 13 septembre 2019

Au mois de juin de cette année, à 81 ans, est décédé Roger Francillon, professeur émérite de l’Université de Zurich. Fils de paysan, le natif de Daillens, chez qui j’ai eu la chance et le bonheur de faire mes études de littérature française, fut un homme illustre. Il donnait des conférences sur Ramuz un peu partout dans le monde, même au Japon.

Lors de son arrivée à Zurich en 1979, les étudiants ne savaient rien de la littérature romande, même pas qu’elle existait. Afin d’y remédier, Francillon a créé un colloque de littérature romande qu’il a donné pendant plus de vingt ans. Ce fut le début de son engagement pour mieux faire connaître la littérature romande, qui s’exprima aussi par la suite à travers de multiples recherches dans ce domaine. Cela dit, dans son esprit, ce terme désignait rien de plus qu’une simple circonscription territoriale, englobant aussi bien les écrivains enracinés dans leur terroir local que ceux qui y naissent, vivent et écrivent sans que leur littérature soit en lien étroit avec le pays. Cela explique aussi le titre de son ouvrage: Histoire de la littérature en Suisse romande, et non pas Histoire de la littérature romande. Cette vaste publication en quatre volumes, parue entre 1996 et 1999 et rééditée en version augmentée en 2015, a vu le jour sous sa direction.

De 1974 à 1979, après ses brillantes études terminées par une thèse sur Madame de La Fayette, Francillon fut professeur assistant de Jacques Mercanton, qui occupait alors la chaire de littérature de l’Université de Lausanne. L’auteur de l’Eté des Sept-Dormants comptait dans la vie du jeune universitaire. Je me souviens qu’à sa mort, au milieu des années nonante, Francillon s’est également chargé des archives de l’écrivain et nous a montré, à nous les étudiants, le manuscrit du roman cité: un cahier épais et solidement cartonné, rempli d’une écriture minuscule difficilement déchiffrable. C’était impressionnant de voir cet état matériel de la littérature, cet état de labeur qu’est l’écriture. Avec Francillon, nous étions toujours proches des écrivains, de la genèse de leurs œuvres, comme de leurs pensées et de leurs idées.

L’homme était assurément un grand passionné de la littérature. En plus de cela, il avait un talent d’orateur. C’était sa première qualité. L’auditoire était toujours rempli quand il donnait son cours. C’est qu’il s’adressait à tout le monde, s’exprimant dans une langue claire et compréhensible. Le public était toujours mélangé. Il y avait aussi d’anciens étudiants, des employés et des retraités. Grâce à son formidable don d’éveiller l’intérêt pour l’œuvre dont il parlait, il savait communiquer sa passion, et susciter en permanence chez nous l’envie de lire et de réfléchir.

Sa deuxième qualité était son goût de l’analyse. Avec lui, seul comptait le texte et le contexte de l’époque. Il n’acceptait pas les interprétations selon les goûts et les idées personnels. Il fallait s’appuyer sur le texte. Il ne s’agissait pas d’aimer ou de ne pas aimer, mais de décrire de manière objective. Et c’est cette démarche scientifique que j’ai apprise et aimée chez lui.

Il aimait le contact avec ses étudiants. Aller boire un verre avec nous après le séminaire ne le dérangeait pas du tout, bien au contraire. A cette occasion, il nous racontait mille anecdotes avec beaucoup d’amusement. Notamment ses aventures dans le Congo belge où il avait accepté un emploi dans l’administration du gouvernement; ou sa passion pour le bridge, qu’il pratiquait régulièrement, et pour le théâtre, qui l’incita à fonder et animer une troupe de théâtre à Zurich pendant de longues années.

Je garde en mémoire un homme calme et très disponible, courtois, généreux et humble qui n’avait pas l’esprit de chapelle. C’était un homme libre qui traçait sa route.

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