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Occident express 40

David Laufer
La Nation n° 2132 27 septembre 2019

Mon épouse plantait de nouveaux rosiers, mon beau-père taillait sa vigne avec moi et ma belle-mère préparait le repas de midi. Le Danube était très haut et les oiseaux remplissaient ce magnifique dimanche de mars de leurs chants victorieux. Seul, mon fils de onze ans était assis. Sur la grande terrasse couverte, dallée de vieilles tuiles de récupération, il avait trouvé un vieux fauteuil en osier et, les jambes croisées, le menton appuyé sur sa poitrine, il jouait avec son téléphone. Observant la scène du coin de l’œil, je fis signe à mon beau-père: «Il devrait quand même faire quelque chose, assis comme ça, il ne sert à rien.» Lui, haussant les épaules: «Mais laisse-le tranquille, c’est la campagne, il doit s’amuser, pas travailler.» De ma belle-mère qui était venue nous servir une petite prune, la réponse fut encore plus simple: «C’est un enfant, il fait ce qu’il veut.» Je me souviens qu’à Lausanne, à onze ans, j’étais obligé (et je le détestais copieusement) d’aller aux scouts deux samedis par mois, à l’église (que je préférais) comme à l’école du dimanche, et il ne se passait pas un week-end, hormis l’hiver, où je n’étais pas de corvée de feuilles mortes, de tonte du gazon et de tout un éventail de tâches jardinières qui m’assommaient mais que mon père, on s’en doute, ne pouvait pas faire seul. Pourtant je sentais bien que ces tâches, outre leur objet pratique, étaient pédagogiques. Elles me faisaient les pieds. Et c’était bien cela, je crois, qui me hérissait. Qu’une tâche soit nécessaire, soit. Mais qu’on en fasse un principe pour mon bien, ça, j’avais de la peine à le tolérer. Je rechignais donc, j’étais gâche-métier. Il fallait me reprendre plusieurs fois avant d’obtenir un gazon lisse et des haies bien droites. Observant mon fils de loin, saisi entre ces deux attitudes opposées, l’une disons orthodoxe et l’autre protestante, l’une où l’enfant-roi n’a pas à se baisser pour ramasser sa cuillère et l’autre où l’enfant doit souffrir pour comprendre et accepter, j’hésitais. Perdu dans mes réflexions, je ne l’ai pas vu partir sur son vélo. Au bout de quelques minutes, il est revenu essoufflé, un sourire immense aux lèvres et trépignant de m’annoncer: «Papa! Papa! J’ai cassé le mur!» A la question peut-être prosaïque de savoir de quel mur il s’agissait, il m’a expliqué: «Le mur que j’avais en moi-même! Je n’ai pas fait de vélo depuis des mois et je n’osais pas remonter dessus. Mais j’ai réussi! J’ai cassé le mur!» Sa contribution aux tâches communes, ce dimanche-là, n’aura pas été notable. Mais il a onze ans et il a vaincu sa peur, il a cassé son mur. Les feuilles mortes et le gazon ne perdent rien pour attendre.

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