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Solidarité face à l’épidémie

Jean-François Cavin
La Nation n° 2144 13 mars 2020

Il n’est pas dans les habitudes de notre journal de demander que l’Etat distribue sa manne. Mais le cas du coronavirus est exceptionnel. Les mesures de prophylaxie que l’autorité décrète ou recommande, ainsi que les comportements adoptés spontanément par la population, paralysent certaines activités et mettent en péril la situation financière de certaines personnes et la survie de diverses entreprises. C’est manifestement le cas pour les organisateurs d’événements sportifs, culturels, commerciaux d’une certaine envergure, qui ont dû être supprimés ou que le public déserte, et pour leurs fournisseurs. La crise pourrait aussi concerner le secteur du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, des transports en commun, d’autres encore. Le choc pourrait être si rude que la faillite de traiteurs, d’agences de «l’événementiel», de salons, de clubs sportifs ne serait pas exclue, de même qu’un désastre personnel peut menacer certains artistes ou techniciens de la scène, s’ils sont indépendants: pas de spectacle, pas de cachet.

Le risque normal de l’entreprise suppose que celle-ci supporte une baisse d’activité, même assez importante: l’annulation de certaines commandes, la suppression d’un ou deux matches font partie des aléas de la vie commerciale. Mais si l’absence de recettes est totale, ou quasi, et dure des semaines, voire des mois, faute de clients, de personnel ou de fournitures, c’est autre chose. La catastrophe qui menace d’aucuns a ceci d’extraordinaire que le phénomène est imprévisible, massif, et frappe très inégalement les acteurs de l’économie, sans aucune faute de la part des victimes. La question d’une action de solidarité publique se pose donc légitimement; nous y répondons positivement, à titre exceptionnel et sans que cela préjuge d’autres situations de panne des affaires.

Pour l’instant, les autorités ne s’engagent guère dans cette voie (ces lignes sont écrites lundi 9 mars). La Confédération a commencé par refuser de l’envisager; le discours s’est ensuite quelque peu assoupli, mais sans perspectives concrètes. L’Etat de Vaud est dans l’expectative. On peut comprendre cette attitude vu la nouveauté du problème, la difficulté de le cerner, la crainte d’ouvrir les vannes, les obstacles juridiques aussi.

En effet, dans l’appareil légal, rien n’habilite les pouvoirs publics à offrir leur aide. La Confédération, à première vue, n’a aucune compétence constitutionnelle à cet égard. Le Canton, souverain, est en mesure d’agir en théorie, mais aucun dispositif ne fixe le cadre et les conditions d’une intervention de secours. Il faut donc recourir au droit d’urgence. Pour la Confédération, si on estime judicieux qu’elle intervienne à propos de manifestations d’importance pour toute la Suisse ou pour soutenir une branche économique dans son ensemble, c’est à l’article 165 alinéa 3 de la Constitution fédérale qu’il faut se référer; cette disposition, introduite après la Deuxième guerre mondiale par la Ligue vaudoise grâce au succès d’une initiative populaire, prévoit qu’une législation d’urgence dénuée de base constitutionnelle peut être adoptée par les deux conseils à la majorité de leurs membres, mais doit être limitée dans le temps et soumise au peuple et aux cantons dans l’année sous peine de caducité. Pour le Canton, l’article 125 de la Constitution dispose que le Conseil d’Etat peut, sans base légale, prendre toutes les mesures nécessaires pour parer à de graves menaces ou à d’autres situations d’exception; ces mesures doivent être ensuite ratifiées par le Grand Conseil.

La Confédération et l’Etat de Vaud sont en bonne condition financière. Il leur est donc parfaitement possible de créer, chacun pour sa part, un fonds de solidarité; des finances saines doivent justement permettre d’affronter les coups durs. L’aide ne doit être allouée que si la relation de causalité est établie entre l’épidémie et les pertes, si ces pertes nettes dépassent un certain seuil, si le bénéficiaire a pris toutes mesures utiles pour limiter le dommage (chômage partiel compris); des avances doivent être possibles en attendant l’examen définitif de la demande, car les créanciers n’attendent pas forcément; les décisions doivent être prises sans voie de recours, sauf arbitraire.

La mise au point ne sera pas simple, mais mieux vaut agir rapidement en mettant en place un dispositif imparfait que de viser longuement à tout régler à la perfection en laissant les gens dans la panade. Les pouvoirs publics, et l’Etat de Vaud en premier, qu’on sait capables d’agir pesamment, doivent montrer cette fois qu’ils savent aussi faire vite. S’ils s’en font un point d’honneur, le pays saluera leur mérite; sinon, des désastres et des rancœurs sont programmés.

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