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Occident express 65

David Laufer
La Nation n° 2157 11 septembre 2020

La presse mondiale fait (enfin!) état des différences statistiques béantes entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest dans la crise du coronavirus. Alors que l’on compte les morts par dizaines de milliers entre Paris, Londres et Milan, on les compte par centaines entre Varsovie, Bratislava et Belgrade. Plusieurs articles sont revenus récemment sur ces stupéfiants écarts pour tenter d’en comprendre les raisons. La raison la plus souvent citée par les experts tient en un seul mot: la conscience. Les citoyens des pays d’Europe de l’Est ont une conscience bien plus aiguë de leur fragilité que leurs frères et sœurs d’Europe de l’Ouest. Ils savent que leurs systèmes de santé, leurs infrastructures et leurs économies ne peuvent pas se permettre une contagion hors de contrôle. Et que, même s’ils n’ont pas voté pour leurs gouvernants, la vie de leurs parents et grands-parents et leur survie en tant que nation sont probablement plus importantes que les apéros entre amis, et même plus importantes que la liberté de la presse. Cette conscience a poussé leurs dirigeants à mettre en place très vite des mesures particulièrement sévères et restrictives, et les populations à respecter ces mesures. Ce n’est pas un hasard si la ligne de démarcation de cette conscience départage ceux qui ont connu le communisme de ceux qui ne l’ont pas connu. Cette expérience dramatique a elle-même été précédée par une expérience de la Seconde guerre mondiale infiniment plus sanglante que celle dont peuvent se souvenir les Occidentaux. Les champs de ruines, les villes rasées, les millions de victimes, les populations déplacées, les batailles de chars, à quelques exceptions près, c’est surtout dans ces régions qu’on en trouve la trace. Rien qu’en Serbie, la liste des massacres de populations civiles, les bombardements massifs et le sadisme même de l’occupation allemande m’ont ouvert les yeux sur une réalité toute autre de la Seconde guerre, que j’assimilais jusqu’alors surtout à Auschwitz, au Blitzkrieg et à la Normandie. Et j’ai découvert que cette mémoire-là, en Europe de l’Est en général, est en réalité plus intacte et plus douloureuse que la mémoire du communisme. Ces atrocités ayant été suivies par l’absurdité de l’expérience communiste, elles ont offert aux peuples qui en ont souffert une bonne leçon d’ironie et de relativisme. Elles ont ancré de ce côté du continent une conscience aiguë de l’imprévu et de l’impermanence qui m’est utile chaque jour dans ma vie belgradoise. Il est donc logique que la réaction collective face à l’imminence du danger soit plus déterminée et pratique à Belgrade qu’à Berne, où l’on compte aveuglément sur la solidité du système. Il est désormais certain que les Serbes ou les Slovaques souffriront bien plus que les Suisses ou les Anglais des conséquences économiques de cette crise, même s’ils l’ont beaucoup mieux gérée qu’eux. Mais il est tout aussi certain que, armés de cette conscience et de cette ironie, les Européens de l’Est sauront apprécier le retour à une vie normale bien mieux que les Européens de l’Ouest.

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