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Vite, quelques coups de peinture jaune!

Jean-Blaise Rochat
La Nation n° 2157 11 septembre 2020

A l’étonnement de tous et l’effarement de certains, les routes et les rues de notre Canton se décorent à grande vitesse de marquages jaunes pour indiquer l’espace réservé aux vélos. Dans 24 heures du 7 juillet dernier, Florence Germond justifiait cet empressement à multiplier les voies cyclables: «La planète se réchauffe, il faut aller de l’avant et nous partons du principe que les cyclistes ont leur place sur la chaussée au même titre que les véhicules motorisés.» Qu’en pensent les usagers de la route?

Point de vue d’un automobiliste:

C’est une nouvelle entrave visant à décourager l’utilisation des véhicules motorisés. Sur les routes hors localités, la portion de la chaussée réservée par les nouvelles mesures aux cyclistes est confortable, même suffisante pour un attelage. (Ces dangereuses remorques pour enfants!) La dimension a été manifestement calibrée à dessein. Ce qui reste de la route pour les quatre roues, même de petit gabarit, ne permet pas le croisement sans empiéter sur le domaine cycliste, ou sacrifier son rétroviseur contre la voiture d’en face. Les concepteurs du projet en sont parfaitement conscients, puisqu’à certains endroits, la ligne médiane a carrément été supprimée. Cela crée une ambiance de cohabitation forcée à l’amiable, un peu floue.

En ville, le mécontentement s’est exprimé à Genève par des manifestations, à Ouchy par la grogne des commerçants. A l’avenue Bellefontaine, axe très fréquenté et très pentu de Lausanne, on a déroulé le tapis rouge pour la petite reine en supprimant une voie automobile. Le résultat, c’est la restriction de la fluidité du trafic dans une zone régulièrement engorgée, donc une pollution aggravée, tout cela au profit d’un petit nombre de sportifs bien entraînés et de cyclistes électrifiés. Mais il est vrai que l’urgence climatique et la défense des minorités sont des thèmes porteurs de la doxa contemporaine contre lesquels il est assommant de ferrailler.

Point de vue d’un cycliste:

On nous reproche régulièrement un comportement désinvolte à l’égard des règles de la circulation. Et c’est vrai: nous grillons les feux, roulons sur les trottoirs, traversons sur les passages pour piétons, empruntons les sens interdits, et cela dans une impunité quasi assurée. Via Sicura est menace de prison pour les automobilistes; bienveillante indulgence à notre égard. Quelle injustice! Est-ce par incivisme, par provocation, que nous nous conduisons de manière aussi irrespectueuse? Non. La raison est la suivante: le code de la route a été conçu il y a plusieurs décennies pour le trafic motorisé. Depuis soixante ans, ce trafic a décuplé dans notre Canton et, à l’exception du développement des autoroutes, le réseau routier n’a guère changé. D’où la cohabitation de plus en plus délicate entre les autos et les vélos (et on ne parle pas des piétons). Il y a un demi-siècle, les cyclistes ne brûlaient pas les feux: il n’y en avait pas. Yverdon, ville cycliste par excellence, n’était équipée que d’un seul feu rouge pour 20’000 habitants (sur la place Bel-Air, il a été supprimé depuis!) Piétons, vélocipédistes, automobilistes, transports publics vivaient en bonne harmonie dans un paradis peu réglementé, tolérant et complémentaire.

Notre actuelle effronterie n’est pas l’expression du mépris des lois, mais de l’inadéquation de règles devenues insupportablement contraignantes et obsolètes dans un trafic saturé. «Une voiture, une moto et un vélo ne pèsent pas le même poids, n’occupent pas un espace comparable, n’atteignent pas la même vitesse, ne présentent pas la même maniabilité et ne nécessitent pas le même temps de freinage. Les usagers n’ont pas la même perception de leur environnement. A vélo, et dans une moindre mesure à moto, on entend, on voit, on sent nettement mieux la rue que lorsqu’on est assis dans un habitacle imperméable.» (Olivier Razemon, Le Monde, 24 XI 2014)

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Nous devrions être satisfaits des mesures prises en faveur de la mobilité légère. Eh bien, c’est plutôt une déception: ces coups de pinceaux sur la chaussée ressemblent plus à une manœuvre dissuasive contre les automobilistes qu’à un projet bien construit pour le partage de l’espace public. Une vraie piste cyclable, dans la mesure du possible, doit être clairement séparée de la chaussée, à l’exemple de celle qui relie Yvonand et Yverdon. Evidemment, c’est coûteux et cela demande des aménagements considérables. L’actuelle initiative des autorités pour encourager l’utilisation du vélo, menée dans la précipitation et sans concertation, donnera à nos roués caciques l’occasion de plastronner à l’évocation du nombre impressionnant de pistes cyclables réalisées si rapidement, à si peu de frais. Cela leur permettra de pérenniser commodément une situation insatisfaisante pour tous, au lieu de réfléchir à une planification générale de la mobilité, en tenant compte des besoins de chacun.

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