Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Bon scolaire, pas pour tout de suite

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1843 15 août 2008
Le pouvoir scolaire vaudois s’est progressivement concentré dans les mains d’une entité indéfinissable peuplée de chercheurs en pédagogie, d’experts en docimologie, méthodologie, linguistique et communication, d’enseignants dépassés promus bureaucrates, de syndicalistes idéologues et de chefs de service politiciens. C’est cette entité qui décide de tout, des structures scolaires, de la pédagogie, des programmes et des méthodes, des systèmes d’évaluation, de la durée de l’enseignement, de la formation des enseignants, des exigences à l’égard des maîtres d’apprentissage et, bien entendu, des réformes incessantes qui bousculent sans succès l’école vaudoise depuis quarante ans. Qu’ils soient «de droite» ou «de gauche», les politiciens responsables du département de la Formation et de la Jeunesse ont délégué à cette entité tout pouvoir de décision. Ils ont mis toute la puissance de la contrainte étatique à sa disposition.

Ce monopole pédagogique empiète lourdement sur les compétences éducatives des parents. Les valeurs dites «républicaines» auxquelles le département de la Formation et de la Jeunesse se réfère, égalitarisme unificateur, laïcisme relativiste, multiculturalisme, socialisation, vont à l’encontre des convictions philosophiques et religieuses d’un certain nombre d’entre eux: l’éducation qu’ils donnent n’est pas relayée à l’école; elle y est parfois contestée.

Les enseignants n’y trouvent pas non plus leur compte, privés qu’ils sont de leur autonomie méthodologique et ravalés à la fonction d’animateurs de méthodes clef en main imposées d’en haut.

Les buts plus ou moins proches des réformateurs se déduisent de leurs principes: l’école unique jusqu’au certificat, le transfert des élèves des classes spéciales dans les classes ordinaires, le prolongement de l’école obligatoire jusqu’à dix-huit ou dix-neuf ans, le bac pour tous, la fin de l’apprentissage en entreprise, la scolarisation de l’université…

L’initiative «Ecole 2010» entend contester cette évolution en portant la lutte à l’intérieur même du système. C’est une initiative de professionnels de l’enseignement. dans une perspective différente, mais pas contradictoire, les promoteurs du «bon scolaire» et de la liberté du choix de l’école veulent agir sur les relations entre les parents, l’école et l’Etat. C’est une initiative de parents.

Le système du bon scolaire a pour but de permettre à tous les parents, quelle que soit leur situation financière, de choisir en toute liberté l’école de leurs enfants: les parents reçoivent des pouvoirs publics un chèque d’un montant correspondant au coût moyen d’un élève, ils le remettent à l’école de leur choix et celle-ci l’encaisse auprès de l’Etat. Pour être reconnues par l’Etat, les écoles devraient répondre à un certain nombre de conditions basiques. Le tout est évidemment de savoir qui définit ce qui est basique.

Philosophiquement, l’idée exprime la primauté de la famille en matière d’éducation et met en cause l’infaillibilité idéologique de l’Etat; pédagogiquement, elle restitue leurs compétences en matière méthodologique et d’évaluation aux enseignants et aux établissements scolaires; socialement, elle rend les écoles privées accessibles à tout un chacun; fiscalement, elle diminue la double charge que représente pour des parents le soutien à l’école publique par le biais des impôts et le paiement de l’écolage à un établissement privé; économiquement, elle introduit un peu de concurrence dans le monde des établissements scolaires (1).

Un groupe de pression fédéral intitulé Elternlobby (2), en français Lobby parents suisse, fondé en 2002, a suscité le lancement d’initiatives cantonales intitulées «Oui à la diversité et au choix de l’école pour tous». dans le demi canton de Bâle-Campagne, le nombre de signatures requis a été atteint et les électeurs voteront en octobre. L’antenne du lobby dans le Canton de Vaud, Mme Susanne Bergius, d’Yverdon, annonce le lancement d’une initiative pour cet automne.

Les milieux réformateurs, on s’y attendait, ont immédiatement contre-attaqué en proclamant que l’école publique y perdrait sa «dimension intégrative» au profit de la création d’une multitude de «ghettos» soustraits à l’action bienfaisante des «valeurs républicaines».

Sur le plan pratique, M. Pierre Jaccard, directeur général adjoint de l’enseignement obligatoire vaudois, émet trois objections (3). Tout d’abord, la planification scolaire en matière d’organisation des classes et des transports serait extrêmement difficile, pour l’école publique comme pour les écoles privées. Ensuite, «il faudrait créer bien plus de places qu’il n’y a d’enfants» pour assurer une offre réelle à tous et partout. La troisième objection est que les classes des zones périphériques risqueraient d’être désertées. Ces objections ne doivent pas être prises à la légère.

Ce qui a surpris, en revanche, c’est que beaucoup de fervents partisans du bon scolaire se sont déclarés publiquement défavorables à l’initiative, les uns jugeant que les esprits ne sont pas encore prêts, les autres, dont nous faisons partie, craignant qu’elle ne suscite dans le corps électoral un sentiment de saturation qui serait nuisible à l’initiative «Ecole 2010».

Les écoles privées ne semblent pas très favorables non plus. Elles redoutent que l’Etat ne subordonne leur reconnaissance à des conditions de fond et de forme inacceptables. Une acceptation de l’initiative par le peuple vaudois ne changerait évidemment pas les conceptions du département de la Formation et de la Jeunesse. Mme Lyon a déjà déclaré (4): «L’école publique est capable de prendre en charge tous les élèves, et cela de manière différenciée.» Tant que cette mentalité égalitaire et centralisatrice, pour ne pas dire totalitaire, régnera sur le monde scolaire vaudois, la liberté du choix de l’école sera une formule vide de sens dans le Canton. Il faut desserrer l’étau.

En Suède, par exemple, la liberté scolaire a été liée à une décentralisation de l’école et à un transfert des responsabilités scolaires de l’Etat central aux communes. Nous citons MM. Nordmann et Chenaux: La liberté des parents se trouve considérablement étendue, puisque ceux-ci peuvent opter pour une école publique de leur propre municipalité, une école publique d’autres municipalités, une école indépendante souvent fondée sur des projets pédagogiques spécifiques (comme les écoles Waldorf-Steiner ou Montessori, ou encore des écoles confessionnelles) ou une école «intermédiaire» résultant d’un contrat de collaboration entre les autorités municipales.

C’est un fait que les créateurs actuels d’écoles en marge de l’école publique travaillent généralement sur le plan communal ou intercommunal. Je pense aux petites classes gérées par des mouvements évangéliques en différents endroits du Canton, à Oron, par exemple, au pied du Jura, bientôt à Lucens. Au niveau local, on peut aborder la fondation d’une école originale sous un angle concret et maîtrisable.

Il faut fixer, au moins dans le principe, le rôle des communes vaudoises dans un système de libre choix de l’école. Pour ce motif aussi, il est nécessaire de repousser la date du lancement de l’initiative pour un bon scolaire.


NOTES:

1) On se reportera avec fruit à l’ouvrage «Libérez l’école! – Les libertés scolaires, mode d’emploi», Jean-daniel Nordmann et Jean-Philippe Chenaux, Etudes et Enquêtes N° 33, Lausanne, 2004. On peut la commander au prix de 19 francs au Centre Patronal, Case postale 1215, 1001 Lausanne (021 796 33 00).

2) Le site du lobby s’intitule www.elternlobby. ch. La version française ne fonctionne pas.

3) «Ecole privée ou publique?, le casse-tête du libre choix», Tasha Rumley, L’Hebdo du 12 juin 2008.

4) L’Hebdo, op. cit.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • † Mme Lucy Cavin-Fonjallaz – Daniel Laufer
  • Concert événement – Frédéric Monnier
  • Capo d'Istria (2) – Alexandre Bonnard
  • Eternel dissident – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Des perles de mauvais goût – Philibert Muret
  • † Dr. Jean-Claude Perrin – Ernest Jomini
  • Charles le Téméraire à Berne: derniers jours – Nicolas de Araujo
  • † Alexandre Soljénitsyne méconnu – Daniel Laufer
  • Maîtrise de soi? – Jacques Perrin
  • Un besoin de grandeur – Lars Klawonn
  • Casimir contre Donald – Le Coin du Ronchon