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TIGRIS, le fauve au repos

Jean-François Cavin
La Nation n° 1862 8 mai 2009
A mi-mars, grâce à la Weltwoche, l’apparition publique soudaine de TIGRIS, groupe d’engagement de la Police judiciaire fédérale créé très discrètement en 2003, a défrayé la chronique. Allait-on vers une nouvelle affaire des fiches, jadis collectionnées dans l’ombre la plus épaisse? Car de TIGRIS, le Parlement n’avait jamais vu le bout d’une griffe; sa commission de gestion ignorait tout; le Conseil fédéral n’était pas au courant; et Mme Widmer- Schlumpf elle-même, chef du département en cause, ne semblait pas très renseignée puisqu’elle a ordonné l’ouverture d’une enquête. Qui donc sait tout ce qui grouille dans l’animalerie fédérale?

La vigilance est de mise, car la limite des compétences de la police fédérale n’est pas toujours claire, et le Bund cherche périodiquement à étendre ses moyens d’action. On se rappelle bien sûr, entre autres épisodes, le projet de Police fédérale de sécurité, dite Furglerpolizei et en abrégé Fupo, qui plaçait des hommes issus des forces de l’ordre cantonales sous commandement fédéral; un référendum victorieux a anéanti en 1978 cette tentative calamiteuse. Mais ne confondons pas: la Fupo, avec plus de mille gendarmes mobilisables, était avant tout conçue comme une troupe anti-émeutes. TIGRIS, avec quatorze agents (M. Blocher a refusé d’augmenter l’effectif), relève en revanche de la police judiciaire, prétendûment pour accomplir des opérations spécialement risquées.

Il ne s’agit là que d’une petite partie du vaste dispositif sécuritaire fédéral. En effet, abandonnez l’illusion que la police relève exclusivement, ou quasi, des cantons. En réalité, les «fédéraux» pullulent. Il y a le Corps des gardes frontière, qui ne gardent plus les frontières dans l’«espace Schengen» et se partagent un travail largement de police ordinaire avec les gendarmeries selon des critères assez obscurs. Il y a les gardes fortifications, qui ne gardent presque plus de fortifications puisque l’armée les a abandonnées et qui forment une troupe de soldats professionnels d’élite vouée souvent à des tâches civiles. Il y a le Service fédéral de sécurité, en charge de la protection des dignitaires étrangers, des autorités fédérales, des bâtiments fédéraux, de la sécurité à bord des aéronefs, de la coopération internationale (Europol, Interpol). Il y a enfin la Police judiciaire fédérale, dite Fedpol, dont le champ d’action s’est élargi depuis une dizaine d’années avec l’octroi de nouvelles compétences de poursuite pénale à l’Etat central: à la protection contre la fausse monnaie s’ajoute la lutte contre les réseaux internationaux de stupéfiants, contre le crime organisé et contre la «grande criminalité» (blanchiment, corruption, etc.).

Face à cette faune de trafiquants, de gangsters en vestes de cuir ou en smokings, de maffieux de toutes nationalités, sur quelles proies TIGRIS va-t-il fondre? Selon Fedpol, les flics-félins interviennent sur mandat du Ministère public de la Confédération, de l’Office des juges d’instruction fédéraux ou de l’Office fédéral de la justice dans les cas où la poursuite incombe à la Confédération et où existe un risque particulier (suspects dangereux et armés): recherche ciblée de personnes sous mandat d’arrêt international, protection des agents ordinaires de la police judiciaire fédérale lors de perquisitions dangereuses. Les opérations se font en principe en collaboration avec les forces cantonales ou locales. TIGRIS, sur demande d’un canton, peut aussi prêter main forte aux policiers cantonaux.

Alors, circulez, y a rien à voir? Justement, y a rien à voir, et c’est bien là le problème. Car s’il semble difficile de contester la constitutionnalité et la légalité de l’existence de ce groupe, sa raison d’être effective est plus que douteuse. On dénombrerait, selon le Tages Anzeiger, cent trente interventions depuis 2003, dont l’arrestation sans histoire du follo Ulrich à Vevey et l’interpellation d’une Allemande débile mentale à Lausanne (opérations à haut risque? Si les autres sont du même genre…), soit une sortie par quinzaine pour TIGRIS et peut-être une dizaine par année pour chaque agent. Il reste plus de deux cent jours annuels pour s’exercer au tir et y entraîner les autres agents de Fedpol.

Il existe aussi des groupes d’intervention d’élite dans plusieurs cantons (selon la NZZ, au moins un dans chacun des quatre cercles concordataires de collaboration policière intercantonale), groupes qui ne paraissent eux-mêmes pas suroccupés par leurs missions de pointe (mais leurs membres ont aussi d’autres tâches). On doit en conclure que, selon toute vraisemblance, la Confédération pourrait confier aux cantons les interventions dures et supprimer TIGRIS, manifestation supplémentaire de son perfectionnisme touche-à-tout.

Plus généralement, l’examen du dispositif sécuritaire fédéral révèle que, sur les compétences en matière de maintien de l’ordre, règne un certain désordre. En théorie, il serait indiqué de reprendre tout le dossier et de limiter les compétences et les forces de la Confédération au strict nécessaire, étant entendu que l’Etat central compterait sur l’engagement des polices cantonales. Mais l’expérience enseigne que toute réforme d’ensemble présente un grand risque d’accroissement de la centralisation. Dès lors, il vaut peutêtre mieux ne pas réveiller le chat – ou le tigre – qui dort.

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