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D’où viendra la prochaine agression?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1870 28 août 2009
Les excuses que le président de la Confédération a présentées à M. Kadhafi ont mal passé auprès du simple citoyen comme auprès des politiciens. Le Gouvernement de Genève a réaffirmé son soutien inconditionnel à l’action conduite par sa police et dénoncé le mépris de l’autonomie cantonale manifesté par les autorités fédérales. Les partis genevois ont fait chorus, toutes tendances confondues. Les gouvernements des cantons romands ont exprimé leur solidarité. La presse elle-même a suivi le mouvement, à l’exception des quelques journalistes qui ont tenté sans succès d’incriminer l’«isolement de la Suisse».

Seuls les candidats au Conseil fédéral, pourtant assez diserts ces derniers temps, ont évité de donner leur sentiment sur l’affaire.

Il est vrai qu’à Berne, nos autorités ont «fait la totale», comme on dit vulgairement. Mme Calmy-Rey a annoncé qu’un accord était à «deux millimètres» d’être conclu alors que rien n’était fait. Elle est officiellement entrée en matière sur un chantage d’Etat caractérisé. M. Merz s’est présenté sans être suffisamment prêt au maître de la Lybie, lequel n’a même pas jugé bon d’être présent. Il a accepté de soumettre la Suisse à un tribunal arbitral international, tout en présentant ses excuses, c’est-à-dire les nôtres et plus particulièrement celles des Genevois, avant même que ledit tribunal ne se soit prononcé. A coups de communiqués contradictoires, enfin, le Conseil fédéral a étalé au grand jour la gabegie administrative et les conflits personnels qui règnent à la Berne fédérale.

On se languit du temps où les conseillers fédéraux travaillaient discrètement et n’avaient pas le droit de sortir du territoire suisse.

L’accès de fédéralisme et de fierté nationale des premiers jours a révélé les sentiments profonds de la population et des gouvernements cantonaux. Il ne durera pas. Il s’essouffle déjà. On s’habitue, on oublie. Les otages rentrés, on se dira que, finalement, «un moment de vergogne est vite passé».

La récupération partisane de l’affaire a déjà commencé. Le nouveau débat oppose les radicaux et les socialistes. Il s’agit désormais de savoir si la libération des otages est due au travail de fond de Mme Calmy-Rey, dont l’efficacité a compensé l’amateurisme de M. Merz, ou si elle est due à l’habileté du président de la Confédération, qui a redressé une situation compromise par les atermoiements du Département fédéral des affaires étrangères.

De toutes les affaires qui ont rythmé vingt ans d’une politique étrangère dite «de neutralité active», l’affaire Kadhafi n’est pas celle où nos autorités se sont montrées le plus défaillantes. Il faut reconnaître que notre diplomatie était objectivement mal prise, étroitement cadrée par l’économie d’un côté et l’humanitaire de l’autre. Elle affrontait un despote recourant tantôt à la force brutale tantôt au droit international, un chef de clan considérant que les lois des autres pays du monde ne s’appliquent pas à lui ni aux siens. A un enfant caractériel qui agite en tous sens un pistolet désassuré, il n’est pas totalement absurde et scandaleux de dire ce qu’il veut entendre, même si l’on n’en pense pas un mot. D’autres Etats plus puissants que nous, l’Italie, la France et l’Angleterre, ont déjà passé par là. C’est vrai qu’ils ont moins bâclé les modalités de leur reddition.

L’absurdité et le scandale se trouvent dans l’aveuglement politique persistant de nos autorités. Depuis l’affaire des fonds en déshérence, chaque nouvelle affaire nous donne la même leçon. Et nous continuons imperturbablement à ne pas vouloir l’entendre. Cette leçon tient en peu de phrases. L’ordre international se défait et, à sa suite, les garanties du droit international. Il n’y a pas d’Etat proche ou lointain, si bonnes que soient nos relations, qui ne puisse, d’un jour à l’autre, se transformer en ennemi. La dette des pays qui nous entourent ne cesse de croître, leurs gouvernements de gauche ou de droite sont heureux de nous en rendre responsables auprès de leurs électeurs et, si possible, de la réduire sur notre dos. Enfin, tout chantage abouti prépare le chantage suivant.

Chaque Etat, en particulier s’il est petit et composite, doit donc penser à lui-même et veiller chaque jour à défendre sa souveraineté sous peine de se faire écraser. L’ONU, dont la Suisse et la Lybie font partie, n’y peut rien, et l’Union européenne n’y peut pas davantage, à supposer qu’elle le veuille.

Obnubilées par leur optimisme progressiste, nos autorités s’obstinent au contraire à croire que les attaques contre la Suisse ne sont que des accidents de parcours et que, l’affaire plus ou moins résolue, la marche du progrès reprendra son cours triomphant.

Elles continuent donc de s’occuper de mille choses pour lesquelles elles ne sont pas compétentes et négligent la question qui devrait aujourd’hui être au centre de leurs préoccupations, celle de la prochaine agression contre la Suisse. De qui viendra-t-elle et de quelle nature, fiscale, bancaire, linguistique ou religieuse sera-t-elle? Comment se prépare moralement à l’affronter, pour une fois, dans de bonnes conditions?

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