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Quelle juridiction constitutionnelle? – Réponse de la Ligue vaudoise à une consultation fédérale

Antoine Rochat
La Nation n° 1915 20 mai 2011
Quel est le mot le plus long de la langue française? Anticonstitutionnellement, d’une manière contraire à la constitution. Une consultation fédérale actuellement en cours propose une modification constitutionnelle, qui soulève des questions juridiques et politiques délicates, sur lesquelles nous devons nous pencher.

La question posée est celle de savoir s’il faut abroger l’article 190 de la Constitution fédérale (Cst. féd.), le modifier ou le maintenir inchangé.

L’article 190 Cst. féd.

Figurant dans le chapitre consacré au Tribunal fédéral et aux autres autorités judiciaires, l’article 190 de la Constitution fédérale de 1999 a la teneur suivante:

Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international.

Cette disposition reprend un texte analogue qui figurait dans la Constitution fédérale de 1874 (art. 113 al. 3). Cet article signifie en particulier que le Tribunal fédéral ne peut pas juger si une loi fédérale est conforme ou non à la Constitution fédérale (et au droit international). En revanche, il peut le faire pour les lois ou les constitutions cantonales, ainsi que pour les ordonnances du Conseil fédéral. C’est le principe de la primauté du pouvoir législatif.

Abroger l’article 190?

La majorité de la Commission des affaires juridiques du Conseil national propose d’abroger l’article 190 Cst. féd., principalement pour les raisons suivantes:

  • Depuis la fin du XIXe siècle, les choses ont changé; le droit fédéral s’est considérablement développé et il devrait donc pouvoir être contrôlé par les tribunaux.
  • Le contrôle des lois cantonales par le Tribunal fédéral se révèle positif; la protection des droits fondamentaux s’en trouve améliorée.
  • Le Tribunal fédéral contrôle déjà les lois fédérales sous l’angle du droit international (Convention européenne des droits de l’homme).

Notons que la réforme de la justice (acceptée par la majorité du peuple et des cantons le 12 mars 2000) n’avait finalement pas retenu le contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales, après plusieurs navettes entre les deux Chambres.

Modifier l’article 190?

Une première minorité de la Commission propose de compléter l’article 190 Cst. féd. par un second alinéa, qui ferait exception à l’absence de contrôle de constitutionnalité pour «les dispositions des lois fédérales qui violent les droits fondamentaux garantis par la Constitution ou les droits de l’homme garantis par le droit international».

Cette solution du «droit constitutionnel à deux vitesses» nous paraît indéfendable d’un point de vue théorique et source de difficultés d’interprétation sous l’angle pratique. Nous l’écartons d’emblée.

Maintien du statu quo?

Une seconde minorité de la Commission refuse d’entrer en matière et préconise donc le maintien du statu quo. Selon le rapport, cette minorité estime que le contrôle de constitutionnalité des lois fédérales donnerait un pouvoir exorbitant aux juges. Elle rappelle en outre que les lois fédérales sont soumises au référendum facultatif et qu’elles sont ainsi légitimées par le peuple souverain, tacitement ou explicitement.

On voit mal en effet le pouvoir judiciaire annuler une loi acceptée en votation populaire. La démocratie directe devrait en l’occurrence l’emporter sur toute autre procédure.

La question sous l’angle du fédéralisme

Rappelons que le référendum facultatif peut être demandé contre une loi fédérale soit par 50 000 citoyens, soit par huit cantons. Ceux-ci ont donc un moyen de s’opposer à une loi fédérale qui violerait leurs compétences ou qui irait à l’encontre de leurs intérêts. A notre connaissance, le référendum des cantons n’a été utilisé qu’une seule fois (avec succès contre un projet financier). Sa portée reste donc limitée.

Dans sa préparation à la réponse à la consultation fédérale, la Fédération patronale vaudoise suggère une autre modification de l’article 190 Cst. féd. Il s’agirait d’introduire un mécanisme de contrôle judiciaire de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons. Autrement dit, les tribunaux (à tous les échelons) pourraient être saisis d’un recours contre une loi fédérale qui violerait la souveraineté des cantons ou qui ne respecterait pas la répartition des compétences entre Confédération et cantons.

Même si cette proposition originale a peu de chances d’aboutir, nous y sommes tout à fait favorables.

Notre appréciation

Le contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales revient régulièrement sur la table. On voit qu’il pose des questions délicates, d’équilibre entre la politique et la justice, entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, entre le droit interne et le droit international, entre la Confédération et les cantons.

Dans les colonnes de ce journal, Jean- Michel Henny concluait un article consacré au pouvoir des juges en se demandant si ce contrôle ne constituerait pas «un corps étranger dans nos institutions»1.

Dans un numéro de la revue Etudes & Enquêtes du Centre Patronal, Christophe Reymond avouait «être extrêmement partagé» entre le risque d’un législateur pouvant violer la Constitution et celui d’un tribunal puissant chargé de juger les lois2.

Dans un article récent paru dans le journal Le Temps, fondé sur des raisons historiques et de principe, Mme Suzette Sandoz rejette catégoriquement l’élargissement du pouvoir des juges, qui représenterait un affaiblissement de la démocratie semi-directe3.

En définitive, nous estimons que les avantages du système actuel l’emportent sur ses inconvénients et qu’il faut éviter de toucher aux mécanismes institutionnels sans raison impérieuse. Nous sommes donc favorables au maintien de l’article 190 Cst. féd. et rejetons le contrôle de constitutionnalité des lois fédérales. Le cas échéant, nous pourrions accepter l’adjonction proposée par la Fédération patronale vaudoise, dans le sens de la protection de la souveraineté des cantons.

 

NOTES:

1 La Nation n° 1577 du 5 juin 1998, p. 4.

2 Christophe Reymond, Le projet ambigu de réforme de la Constitution, une réponse patronale vaudoise, Etudes & Enquêtes no 23, Lausanne 1996, p. 38.

3 Suzette Sandoz, «Le pouvoir politique des juges doit être combattu», dans Le Temps du 16 mai 2011.

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