Qui a écrit cela?
L’école vaudoise est en vacances, les cahiers sont au feu et la maîtresse à la Côte d’Azur. Elle reviendra à mi-août, bronzée mais angoissée de découvrir les nouvelles élucubrations pédagogiques que le Département a concoctées en son absence: recentrer l’effort sur l’«apprenant», évaluations normatives abracadabrantes, sempiternelle dialectique opposant les «têtes bien pleines» aux «têtes bien faites», bref, rien de rigolo pour la reprise. La maîtresse ne peut que rêver aux méthodes ludiques et didactiques vantées par notre citation:
[…] J’ai déniché dans un carton à chaussures du marché de la Riponne un amour de manuel à l’usage des écoliers du début du siècle passé. Ils étaient conviés à s’endurcir aux irrégularités de la langue française en s’amusant. Orné de vignettes et gravures (dont certaines du grand Lausannois Steinlen), l’ouvrage fut publié à Paris en 1905. Il est tramé en jeu de piste et jalonné de mots-valises, de charades. L’anagramme y devient une école de jonglerie: tapissier/ pâtissier, argent/grenat, etc. On s’initie à la règle compliquée des consonnes doublées par un astucieux domino verbal. Au pluriel des noms à trait d’union, à l’accord parfois illogique des participes passés, avec des parties de devinettes. Pour gagner – comme au poker –, on apprend volontiers par cœur ce qui échappe au raisonnement et, du coup, la mémorisation cesse d’être un cauchemar de cancres! Dans ce Luna Park de joutes mnémotechniques, l’écolier se divertissait en s’instruisant, et vice versa.
Quel contraste avec les actuels bouquins scolaires! Voilà trente ans que l’École vaudoise ne conçoit plus l’enseignement comme un enrichissement, un tremplin vers la poésie, mais une épreuve. Une mesure préventive contre l’illettrisme. De ses publications-oukases, à couverture souvent grise, se dégage une odeur médicamenteuse tant elles se veulent prophylactiques plutôt que stimulantes. Leurs auteurs n’ont eux-mêmes jamais eu d’élèves (un élève c’est bruyant, ça perturbe la concentration d’un penseur). Romands ou Français, ils sont «psychopédagogues»: leur mission est de reconcevoir l’éducation en fonction de statistiques ou de généralités sèches, elles-mêmes induites par un autre grand charabia: celui de la «pré-orientation professionnelle». […]
Ce billet d’humeur, paru dans 24 heures du 13 janvier 2011, est de la plume de Gilbert Salem. Un tel ouvrage serait-il encore utilisable avec la nouvelle grammaire que M. Salem avait combattue si énergiquement en son temps?
Vos lectures vous conduisent-elles à la découverte de citations savoureuses? Faites nous parvenir une copie avec la référence exacte et vos coordonnées à courrier@ligue-vaudoise.ch, ou par pli à La Nation, C.P. 6724, 1002 Lausanne, avec la mention «Qui a écrit cela?». Les morceaux publiés vous donneront droit à un abonnement gratuit d’une année à La Nation.
Au sommaire de cette même édition de La Nation:
- Intérêt général et bien commun - Essai de distinction – Editorial, Olivier Delacrétaz
- Suivez le guide - La chapelle de la Vierge Marie – Ernest Jomini
- Service public et service universel – Antoine Rochat
- Un petit progrès – Jean-François Cavin
- Un référendum contre FATCA – Vincent Hort
- Le PS, l’obligation de servir et la neutralité – Félicien Monnier
- Aberrations électriques – Cédric Cossy
- Défie-toi de la baleine! – Le Coin du Ronchon