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Le libéralisme selon l’Express

Jacques Perrin
La Nation n° 2202 3 juin 2022

Hebdomadaire français bien connu, L’Express fut fondé en 1953 par Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber. L’Express et non L’Expresse: on voit quelle puissance donnait le ton à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

Au début, L’Express fut antigaulliste et atlantiste, soutenant une gauche humaniste en la personne de Pierre Mendès France. Aujourd’hui il est acquis à la modernité, toujours bien disposé à l’égard de l’Amérique, prônant l’économie de marché et le projet européen, macronien en somme. Il avait 450 000 lecteurs en 2008, il en compte maintenant environ 170 000. Il vise 200 000 abonnés numériques. Une campagne de publicité vient d’être lancée.

L’Express se dit libéral: «libéral» n’est pas un mot bidon. Ce journal permet de s’informer pour réussir. Réussir quoi? Occuper une place en vue? Gravir les échelons d’une entreprise ou de la finance? Gagner beaucoup d’argent? Dominer? Probablement un mélange de tout cela.

Le libéralisme se décline en sept attitudes recommandables. Nous les commenterons.

Etre libéral, c’est penser à demain.

Le libéral est tourné vers l’avenir, par esprit d’entreprise. Il veut façonner un monde meilleur, réaliser ses rêves. Croyant à la perfectibilité de l’espèce humaine, il a un côté utopiste. Jouir du présent l’intéresse aussi, mais le passé lui importe moins.

Etre libéral, c’est croire au progrès de la science.

A cause de la pandémie et du réchauffement climatique, on nous prie «d’écouter les scientifiques». Les sciences sont des ensembles de connaissances tenues pour vraies et révisables à tout instant. Est-ce une affaire de croyance?

Etre libéral, c’est faire confiance à la révolution digitale.

Digital se dit numérique en français. Est-ce aussi une affaire de foi, de confiance? Nous sommes immergés dans le numérique. En quoi cela est-il avantageux? Sous quels aspects est-ce nuisible? Y a-t-il des limites à ne pas franchir? Etudions le problème, discutons-en, avant de séparer d’entrée de jeu les croyants tournés vers l’avenir et les sceptiques attardés. Ce qui est sûr, c’est que certains tirent argent et pouvoir de la révolution numérique. Avant de nous «adapter», nous aimerions en savoir plus long.

Etre libéral, c’est croire en l’égalité femme-homme.

Le libéral est galant, il mentionne la femme en premier. Il faut y croire? Encore? Le libéral postmoderne ne croit pas en Dieu, il cherche des objets en lesquels investir sa foi (ou sa crédulité). Les publicitaires se conforment au goût du jour: si la pub en question avait été conçue avant la guerre en Ukraine, le libéral voudrait croire en la paix (à moins de travailler pour le complexe militaro-industriel…) Mais nous aimerions comprendre: que signifie l’égalité femme-homme? l’égalité salariale? de quel point de vue parle-t-on? sous quel rapport? en quoi les femmes et les hommes en général sont-ils égaux? cette question a-t-elle seulement un sens? l’égalité est-elle compatible avec la concurrence et la compétition adulées par les libéraux? Sur ces sujets nous aimerions des idées précises, pas des injonctions à la croyance.

Etre libéral, c’est être acteur de la croissance.

Enfin du sérieux: Enrichissez-vous! Le libéral agit et joue son rôle dans la prospérité universelle. L’ordre spontané instauré par la main invisible d’Adam Smith harmonise les intérêts égoïstes des Américains, des Européens, des Japonais, des Coréens du Sud, du Mercosur, de l’ALENA, des monarchies du Golfe. Le doux commerce a remplacé les guerres. C’est plus dur avec les Chinois, les Russes, les Afghans, les Iraniens. Mais parfois une bonne guerre sert aussi la croissance…

Etre libéral, c’est savoir répondre aux enjeux climatiques.

On fait comme Greta, on écoute les scientifiques… espérant que de nouvelles technologies, produits ou services contribueront à la réalisation de l’injonction précédente: la croissance, mais repeinte en vert!

Quel rapport entretiennent le libéral que L’Express abreuve d’informations et les libéraux que nous connaissons? La Ligue vaudoise a apprécié et continue d’apprécier certains libéraux parce que leur défense des libertés individuelles se conjugue avec celle des libertés collectives, celles des cantons confédérés par exemple. Leurs préoccupations fédéralistes sont réelles; l’appartenance à une terre et l’attachement à une confession religieuse tempèrent leur individualisme de principe. Certains des grands philosophes libéraux ne reniaient pas leur patrie, voire pour Adam Smith la monarchie (britannique), ou pour Tocqueville une tournure d’esprit aristocratique.

En période de mondialisation avancée, ces heureuses dispositions politiques sont menacées.

Aussi L’Express ajoute-t-il: Etre libéral, c’est défendre nos valeurs démocratiques.

Les libéraux n’ont pas toujours été fanatiques de la démocratie. Tocqueville craignait la tyrannie de la majorité. Aujourd’hui il s’effraierait de celle des minorités. Le théoricien d’une variété de néo-libéralisme – on ne sait jamais très bien ce qu’il faut entendre par néo-libéralisme ou ultra-libéralisme – l’Américain Walter Lippmann, ne se fiait que très modérément à la compétence du peuple, le démos de la démocratie. De quelles valeurs est-il question? Propriété et liberté sans doute. Egalité et fraternité aussi?

Il est difficile d’être libéral de nos jours.

Nous reviendrons sur ce thème, à partir d’une lecture de Pour une régénération du libéralisme, ouvrage de nos compatriotes Olivier Meuwly et Enzo Santacroce.

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