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Signez le référendum contre la loi sur l'énergie

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2240 17 novembre 2023

La Ligue vaudoise combat le Mantelerlass des lois fédérales sur l’énergie et sur l’approvisionnement électrique. Sorti des tréfonds de l’administration fédérale, le terme est intraduisible avec précision. On se satisfera péniblement de l’«acte modificateur unique», qui signifie que plusieurs lois sont modifiées d’un seul coup afin d’englober – tel un manteau – une problématique. L’apparition sur la scène politique de cette terminologie administrative constitue déjà un motif de refuser la loi.

Objectifs et moyens

L’acte modificateur unique veut assurer la transition énergétique en augmentant la capacité de production d’énergie verte en Suisse, tout en réduisant notre consommation d’électricité. Le tout doit intervenir à brève échéance: le projet fixe comme paliers les années 2035 et 2050. Il s’agit d’accélérer les processus de planification et de construction d’infrastructures, et d’adopter des mesures pour réduire la consommation.

Le projet présuppose que la Suisse ne gagnera son autonomie énergétique que par l’électricité. Nous saluons l’ambition des Chambres et du Conseil fédéral de garantir notre souveraineté énergétique. La dépendance au pétrole est aussi une dépendance géostratégique.

Le projet refuse toutefois d’envisager d’autres sources d’énergie que le renouvelable. Le nucléaire et ses espoirs technologiques demeurent en dehors des réflexions. La décision d’en sortir, prise en 2014 à la suite de Fukushima, répondait pourtant à des préoccupations sécuritaires et environnementales différentes de celles des accords de Paris ou de la «vague verte» de 2019. Le recours au tout électrique est-il compatible avec la seule production renouvelable? On en doute assez pour ne pas vouloir tenter l’aventure.

Le projet prend la forme d’un vaste plan. Il fixe à moyenne échéance des objectifs chiffrés. La loi climat souffrait déjà de ce travers1. Le plan finit toujours par dérailler. Mille obstacles encore insoupçonnés s’élèveront devant les autorités fédérales. Le seul moyen de les surmonter sera d’introduire encore plus de contrôles, de centralisation, de directives. Le projet donne déjà au Conseil fédéral la tâche de fixer puis de surveiller des objectifs intermédiaires, globaux et de détail.

Véritable fouillis de jargon technique, de dates et de pourcentages, la loi est déjà presque incompréhensible. Les futures ordonnances du Conseil fédéral échapperont à tout entendement, et donc à tout contrôle politique… peut-être du Conseil fédéral lui-même.

«L’intérêt national»

Albert Rösti l’a déclaré le 26 septembre à la tribune du Conseil national: «La pesée des intérêts entre utilité (de la production d’électricité) et protection (de la nature et du patrimoine) est faite. Cela veut dire que les tribunaux ne doivent pas le faire à la fin, et c’est un grand progrès»2. Les Chambres ont donc décidé, a priori, que d’éventuels intérêts publics contraires, comme la préservation du patrimoine, de la biodiversité ou de l’environnement, ne pourront plus être invoqués pour s’opposer à un projet énergétique. Les tribunaux devront rejeter ces arguments de fond en se contentant de vérifications formelles. Contrairement à M. Rösti, on peine à y voir un «progrès».

A partir d’une certaine taille et importance fixées par le Conseil fédéral, les infrastructures d’énergie renouvelable acquerront le statut «d’importance nationale»3. Les cantons auront préalablement défini leurs emplacements dans leurs plans directeurs. Cela créera une exception au principe de protection absolue des biens déjà portés aux inventaires fédéraux de protection de la nature et du paysage. Cela signifie que la beauté de La Côte, le charme de ses bourgs médiévaux, ou les crêtes des Tours d’Aï, actuellement classées, ne suffiront plus à faire obstacle à l’installation de panneaux solaires géants ou d’éoliennes. Malgré un classement à l’inventaire, l’autorité pourra renoncer à des mesures de compensation ou de remplacement4.

Ensuite, et plus abruptement, le projet prévoit que «l’intérêt national prime les intérêts contraires d’importance cantonale, régionale ou locale». Cela démontre l’absurdité qu’il y a à distinguer des niveaux. Si la Suisse est belle et ses habitants attachés à ses paysages, ce n’est pas à cause du Cervin, de Lavaux ou du Parc national. C’est parce que chaque Canton et chaque ville peut préserver à son niveau l’esthétique et l’histoire de son cadre de vie.

En Europe, un paysage ne diffère en réalité guère d’une vieille fontaine ou d’un château. Nos campagnes sont profondément marquées de la main de l’homme. Vouloir imposer des hiérarchies dans la protection revient à nier l’interaction fondamentale de l’Homme avec son environnement naturel et bâti, aujourd’hui et dans l’histoire. Des panneaux solaires sur la Jungfrau navreront des touristes. Mais des éoliennes sur le plateau des Combremont feront pleurer les Vaudois.

Deux conceptions

Pour la première fois au niveau suisse, la campagne référendaire renverra dos à dos deux conceptions de l’écologie. La première, qui sous-tend la loi, est technicienne et étatiste. Elle voit dans l’industrialisation du paysage le moyen nécessaire pour sortir des énergies fossiles. A moitié consciente de la contradiction cachée derrière une sortie du nucléaire simultanée à la promotion du tout électrique, elle cède à ce paradoxe qui voudrait que l’Etat croisse pour surveiller la décroissance.

La seconde conception ne conçoit pas qu’on sabote la nature pour sauver le climat. Elle ne supporte pas que la loi cherche à modifier les mentalités en décidant à l’avance et pour toujours de la pesée des intérêts à opérer. Que l’on abatte des forêts jurassiennes pour planter des éoliennes nous a toujours dépassé. Cette conception est organique.

Pour la Ligue vaudoise, les communautés humaines, au premier chef desquelles les Cantons et leurs communes, font partie de l’environnement naturel de l’Homme. Préserver la Venoge et sa faune n’a d’intérêt que parce qu’elle «passe par La Sarraz». En accélérant les procédures, en désarmant les juges et les autorités locales, le projet de loi développe une conception abstraite de l’environnement, limitée au climat, aux gigawatts et aux taux de carbone, dont l’être humain est en fait absent.

Le délai de référendum court jusqu’au 18 janvier. La présente Nation contient une feuille de signatures. Renvoyez-la remplie à l’adresse indiquée.

Notes:

1      «Le plan vicenno-septennal», La Nation n° 2224, du 7 avril 2023.

2     Séance du Conseil national, 26 septembre 2023, objet 21.047: «Die Güterabwägung zwischen Nutzen und Schutz ist gemacht. Das heisst, dass das nicht am Schluss die Gerichte machen müssen, und das ist ein grosser Fortschritt.»

3     Art. 12 al. 2 projet LEne.

4     Art. 12 al. 3bis Projet LEne.

 

Une procédure accélérée anticonstitutionnelle

Le Mantelerlass prévoit qu’une fois une installation déclarée d’intérêt national, le Conseil fédéral peut décider que les autorisations seront octroyées «dans le cadre d’une procédure concentrée et abrégée» (art. 13 al. 3 projet LEne).

Il est vrai qu’un grand projet d’infrastructure ne se mène aujourd’hui pas sans de longues, coûteuses et nombreuses procédures administratives: expropriation des propriétaires du lieu, octroi d’une concession à l’exploitant, autorisation de construire, ou marchés publics pour l’adjudication des travaux. Ce sont autant d’occasions de ralentir le projet pour de nombreux motifs en recourant devant les tribunaux.

Que des travaux décidés et légitimés politiquement soient menés à chef rapidement n’a rien de choquant. En revanche, il est inacceptable que la compétence de fixer cette procédure accélérée soit confiée au Conseil fédéral. La procédure administrative est du ressort des Cantons. Les grands projets d’infrastructures impliquent déjà lourdement la Confédération. Cette nouvelle compétence du Conseil fédéral accroîtra une perte de souveraineté qui est trop souvent la source d’incompréhensions, et d’un sentiment de dépossession. Les récents déboires du chantier de la gare de Lausanne en sont la preuve.

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