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Double majorité pour les bilatérales III

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2247 23 février 2024

La Nation a déjà traité des tendances de fond que révèlent les discussions exploratoires sur les futures bilatérales III et le mandat de négociation du Conseil fédéral1.

Le 2 février, ce fut aux Cantons, réunis au sein de l’assemblée plénière de la Conférence des gouvernements cantonaux (CDC, voir encadré), de donner leur position2. Elle est d’accepter la perspective générale du mandat de négociation, y compris ses clauses institutionnelles: intervention de la CJUE, tribunal arbitral et reprise dynamique du droit européen. La Conférence «salue» – à une douzaine de reprises sur dix pages – les intentions du Conseil fédéral. Elle remercie aussi la Confédération de l’avoir associée aux réflexions, bien qu’il s’agisse d’une obligation constitutionnelle. On est loin d’une prise de position contestataire. Seul le canton de Schwytz l’a rejetée. Nidwald s’est abstenu.

Les Cantons refusent tout de même que l’accord attendu en matière d’électricité n’empiète sur leurs prérogatives, notamment dans la gestion des eaux. Ils anticipent que les accords sur la santé ou les aides d’Etat porteront atteinte à leurs souverainetés. Puisse cette vigilance ne pas être que déclarative.

Alors que le contenu des futurs accords est encore loin d’être connu, se pose déjà une question centrale de fédéralisme. Il revient à l’UDC de l’avoir portée sur la place publique: ces bilatérales III devront-elles faire l’objet d’une votation obligatoire du peuple et des Cantons? Ou un référendum facultatif du peuple suffira-t-il?

Selon Le Matin dimanche, les gouvernements de Zoug et Obwald tiennent au vote à la double majorité. Le conseiller d’Etat obwaldien Daniel Wyler dénonce déjà les atteintes aux souverainetés cantonales contenues dans les futurs accords3.

La constitutionnaliste Astrid Epiney est connue pour son implication contre des initiatives tendant à limiter l’influence du droit international sur le droit interne. Elle affirme que les bilatérales III ne rempliraient aucune des cases pour être soumises à la double majorité: elles ne sont qu’un accord d’adhésion à une organisation qui n’est ni de sécurité collective (OTAN), ni supranationale (UE). La professeure fribourgeoise va jusqu’à considérer qu’il serait «anticonstitutionnel» de les soumettre au vote.

Une lecture stricte de la Constitution lui donnerait raison, sauf sur l’impossibilité de faire voter ces objets à la double majorité. En effet, rien n’interdit de faire voter le souverain. Quant à la question de l’adhésion, il convient de nuancer. Ne constate-t-on pas une volonté des autorités suisses de progressivement resserrer nos liens avec des organisations telles l’UE et l’OTAN? Cette «intégration» continuelle comporte bien, dans son principe, un mécanisme d’adhésion, sinon d’aspiration: chaque pas supplémentaire rend un retrait plus difficile et justifie l’approfondissement des relations. Dans tous les cas, la question est bien plus politique que juridique.

En 2020, le Conseil fédéral n’avait aucune obligation de faire voter les Suisses sur l’achat de nouveaux avions de combat. Il voulait toutefois assurer dès le début l’assise du processus. Pour des motifs d’équilibre institutionnel, nous nous étions opposés à l’introduction déguisée d’un référendum financier en réalité inexistant au niveau fédéral4. La campagne fut rude et le résultat serré. Mais l’acquisition du F-35 n’est plus fondamentalement contestée aujourd’hui. A tout le moins sur le plan tactique, l’avenir semble avoir donné raison au Conseil fédéral.

Les nouveautés qu’introduiront les bilatérales III en matière de police des étrangers, de santé, d’électricité, d’agriculture, de hautes-écoles et de recherche scientifique, risquent très sérieusement de violer les souverainetés cantonales. Et le principe veut que lorsque les souverainetés cantonales sont concernées par un texte qui s’imposera au législateur fédéral (comme par exemple la Constitution), les Cantons doivent avoir leur mot à dire.

Mais justement… en leur octroyant de la sorte la bénédiction du peuple et des Cantons, ne court-on pas le risque de donner à ces accords avec l’UE une légitimité similaire à celle de la Constitution fédérale? Pire, ne limiterait-t-on pas, à l’avance, notre propre liberté de renégocier ces accords?

La Ligue vaudoise ne voit pas les choses sous cet angle. La légitimité du vote populaire ne nous a jamais paru très haute, comparativement à l’onction des habitudes, des traditions et des réalités politiques que seul assure aux institutions le lent écoulement du temps. Or les Cantons constituent les réalités politiques les plus importantes de la Confédération. Il sera toujours plus aisé au Conseil fédéral de se cacher derrière eux que de nuancer à Bruxelles les différences entre la double majorité et le référendum facultatif.

La démocratie directe est d’abord un moyen offert aux entités non représentées aux Chambres de s’exprimer sur certains objets de politique fédérale. Plus que de légitimité juridique à accorder ou à refuser, il s’agit d’un contrôle politique à assumer: celui des Cantons suisses sur le volet de notre politique étrangère qui s’annonce le plus invasif pour leur souveraineté.

Notes:

1   «Premières remarques institutionnelles sur le mandat de négociation avec l’UE», La Nation n°2243 du 29 décembre 2023.

2     Conférence des gouvernements cantonaux, Assemblée plénière extraordinaire du 2 février 2024, Prise de position: Stabilisation et développement des relations entre la Suisse et l’Union européenne: projet de mandat de négociation.

3     Christophe Passer, «Des cantons veulent bouger les règles démocratiques», Le Matin dimanche du 18 février 2024.

4     Jean-François Cavin, «Voter sur la défense de l’espace aérien?», La Nation n°2098 du 8 juin 2018, ou Antoine Rochat, «NON au référendum financier déguisé», La Nation n° 2094, du 13 avril 2018.

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