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Un rapport insuffisant

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1830 14 février 2008
Le Synode de l’Eglise réformée évangélique vaudoise a pris trois décisions concernant les relations de l’Eglise avec les homosexuels. Avant de les commenter (1), nous nous permettons quelques remarques sur le rapport du Conseil synodal censé donner une base théologique aux débats du Synode, rapport qui nous a semblé défaillant sur plusieurs points.

Le rapport exprime entre les lignes la crainte que ce débat ne soit la cause de graves divisions dans l’Eglise évangélique réformée vaudoise. Les réactions violentes de nombreuses paroisses à la consultation justifient cette crainte. Mais le Conseil synodal ne se facilite pas la tâche, et à nous non plus, en abordant la question dans la perspective des droits individuels et du principe égalitaire de non-discrimination. Tout son rapport est marqué par la contradiction non résolue entre la crainte du schisme et l’intime conviction que la modernité prendra tôt ou tard l’avantage sur les moeurs inspirées du christianisme.

Le problème de l’unité ne doit pas être considéré uniquement sur le plan interne de l’Eglise évangélique réformée vaudoise. Il concerne aussi ses rapports avec les autres Eglises réformées, qui ne vont pas toutes dans le sens du Conseil synodal, avec les communautés évangéliques ainsi qu’avec les Eglises catholique et orthodoxe, qui, les unes et les autres, condamnent l’homosexualité. Or, dans sa Lettre d’introduction au débat d’entrée en matière, le pasteur Antoine Reymond, membre permanent du Conseil synodal, exclut explicitement d’en tenir compte: Si le traitement de la question de l’homosexualité rompt le consensus entre certaines Eglises, cette rupture est seconde en comparaison avec les autres ruptures que sont la gestion de l’autorité dans l’Eglise, les sacrements, la place des femmes, le célibat et le mariage, l’ordination, les rapports à la culture et à la science. […] Le Conseil synodal est bien évidemment attaché à la recherche de l’unité entre les Eglises et les communautés chrétiennes, mais il n’est pas question pour nous de placer les débats sur l’homosexualité au même niveau de consensus que ces éléments de la foi chrétienne sur lesquels «l’Eglise tient debout ou s’écroule» (M. Luther).

Autant qu’on se rappelle, l’accession des femmes au ministère, rupture majeure avec les Eglises catholique et orthodoxe selon M. Reymond luimême, n’avait pas non plus, à l’époque, ému la conscience oecuménique du Conseil synodal!

Quoi qu’il en soit, l’oecuménisme ne se limite pas aux questions de doctrine: Les questions sur la sexualité sont, dans les Eglises, parmi les plus contestées aujourd’hui. Elles ont un potentiel de division bien plus grand que les questions doctrinales… écrit, avec raison croyons-nous, le pasteur Martin Hoegger (2). Le Conseil synodal nous paraît un peu léger sur ce point.

Enfin, la question de l’unité se pose aussi dans le temps. Les diverses époques et traditions de l’Eglise ne sont pas enfermées dans leurs particularités. Elles ne forment pas des strates complètement indépendantes les unes des autres. Il existe entre elles une continuité théologique, garantie par l’action du Saint Esprit, qui nous interdit de passer par dessus bord, au nom des «valeurs» de notre époque, les interprétations qui ont universellement prévalu durant presque deux mille ans. Les théologiens d’avant le XIXe siècle, ou d’avant le XVIe, n’étaient pas forcément tous d’ignares cornichons. Et ceux d’aujourd’hui devraient se rendre compte qu’ils sont eux aussi conditionnés par leur environnement idéologique, lequel n’est pas forcément le plus propice de tous à la réflexion religieuse.

Cela nous amène à la question de l’interprétation des textes. Il y a dans les Ecritures un certain nombre de textes qui réprouvent l’homosexualité. On les trouve aussi bien dans l’Ancien Testament, notamment Tu ne partageras pas ta couche avec un homme comme on le fait avec une femme: c’est une abomination (Lév. 18: 22), que dans le Nouveau, notamment […] les femmes ont changé l’usage naturel en un autre qui est contre nature. De même aussi, les hommes, laissant l’usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant, homme avec homme, des infamies et recevant en eux-mêmes le salaire dû à leur égarement. (Rom. 1: 26-28). Alors que le Synode avait besoin d’une comparaison serrée des diverses interprétations de ces textes, qu’on aurait utilement accompagnée d’une étude approfondie sur la validité actuelle, diverse, des diverses sortes de préceptes vétérotestamentaires, le rapport se contente d’une allusion des plus discrètes: Parmi les questions à mettre au programme, il y a probablement […] celle de savoir si, quand le livre du Lévitique ou l’apôtre Paul parlent d’homosexualité, il s’agit bien de la même réalité que celle que l’on a à l’esprit dans nos réflexions et nos débats actuels. Que de distance, que de prudence, que de précautions cauteleuses pour finir par ne pas conclure! Ces textes sont-ils à ce point brûlants, font-ils tellement honte qu’on n’ose pas les citer en toutes lettres, ni même donner leur référence exacte?

Certains théologiens modernes tendent à minimiser la portée des textes réprouvant l’homosexualité. Ils les interprètent comme des invitations à refuser des pratiques idolâtres (Ancien Testament) ou à ne pas abuser de la personne d’autrui (Nouveau Testament). Ils mettent en avant des textes allant selon eux dans un sens opposé aux interprétations traditionnelles ou en tout cas manifestant la neutralité de la Bible à l’égard de l’homosexualité. C’est ainsi qu’ils interprètent dans une perspective homosexuelle l’amitié de David et Jonathan. La formule le disciple que Jésus aimait (Jean 13: 23-25) et le récit du centenier demandant au Christ de guérir son serviteur (Matt. 8: 5-10) recèlent selon eux une composante homosexuelle.

Coupés du reste des Ecritures, certains textes peuvent à la rigueur être interprétés dans ce sens. Mais précisément, de telles coupures reposent sur une erreur fondamentale de méthode. C’est de l’hyperlittéralisme. Elles font bon marché de la cohérence des Ecritures, qui impose que chaque verset soit compris en référence au tout et que les textes obscurs ou équivoques soient interprétés à la lumière des textes évidents.

Les versets du Lévitique, de l’Epître aux Romains et de la première aux Corinthiens font écho, sous forme de limites et d’interdits, aux affirmations positives constantes, explicites ou implicites, de la Bible en matière de couple et de famille. Cela commence au premier chapitre de la Genèse: homme et femme il les créa (Gen. 1: 27). Tout au long de l’histoire biblique, le couple est homme et femme. Sa fécondité, conséquence normale et signe de la bénédiction divine, en renforce la réalité et la signification. L’analogue humain de l’amour du Christ et de l’Eglise, c’est l’amour de l’homme et de la femme, pas l’amour d’un «partenaire» pour un autre. Cette analogie est centrale. Elle doit diriger l’interprétation des textes litigieux ou présentés comme tels.

On peut trouver dans la Bible tout ce qui nous arrange – ou passer par dessous la jambe tout ce qui nous gêne. Tout au long de l’histoire, les sectes et les hérésies ont fait rapine de textes bibliques sortis de leur contexte, compris de travers ou librement arrangés. Il suffit de poser d’abord la conclusion à laquelle on veut arriver et ensuite de solliciter légèrement les textes. Les raéliens déduisent du récit de la Genèse l’existence d’Eloïms extraterrestres qui nous auraient fabriqués scientifiquement. Ceux qui croient à la métempsychose trouvent d’apparents appuis dans Job 33: 28-30 et dans Matthieu 16: 14. Les féministes proclament que Dieu est Mère en s’appuyant notamment sur Esaïe 42: 12-13 et Matthieu 23: 37.

De même, il nous est revenu que MM. les professeurs de théologie Daniel Marguerat et Denis Müller, membres du Synode, ont conclu à l’absence de discrimination envers les homosexuels en se fondant sur le fameux verset 3: 28 de l’épître aux Galates: Il n’y a plus ici ni Juif ni Grec; il n’y a plus ni esclave, ni libre; il n’y a plus ni homme, ni femme. Le développement des versets 21 à 27 et la conclusion du verset 29 interdisent une telle interprétation. Ce que le texte nous dit, c’est qu’en Christ, tous les êtres humains, hommes et femmes, esclaves et libres, Juifs et Grecs, qui le confessent sont un, qu’ils sont tous fils de Dieu et tous héritiers d’Abraham. C’est trahir le texte que d’y pêcher un refus de la réalité différenciée de la condition humaine ou une négation de l’existence de comportements répréhensibles.

Il est vrai que ce verset en a vu d’autres. Aux beaux temps de la théologie de la libération, on l’utilisait à l’appui de l’égalitarisme social et de l’internationalisme révolutionnaire. En fait, on y recourt chaque fois qu’on a envie de mettre Dieu dans son camp pour nier, sans trop se casser la tête, une frontière, une différence ou une incompatibilité.

Le rapport met en avant le mystère humain pour justifier son refus de se prononcer en bien ou en mal sur l’homosexualité: Pour l’Eglise, il est prophétique d’accepter le mystère de tout être humain dans sa singularité en renonçant à la prétention d’une connaissance absolue […]. Ce mystère fondamental – «qu’est-ce que l’homme?» – empêche d’enfermer l’autre dans ce que l’on estime avoir compris de sa vie…

Ce n’est pas nouveau. Tout chrétien sait, même s’il ne se le rappelle pas toujours, que le jugement des personnes dans leur totalité concrète n’est pas de son ressort, mais de celui du Christ seul, qui seul connaît le fond des âmes. Cela ne change rien au fait que les Ecritures ont des exigences, et qu’il appartient à l’Eglise de les expliciter et de les proclamer.

La fonction de ces ordonnances divines n’est pas de permettre à tout un chacun de distinguer les bons des méchants, de louer les uns et de condamner les autres. Elles sont l’expression de la volonté de Dieu et les conditions de fonctionnement de l’ordre naturel qu’il a créé. Elles sont ensuite des protections essentielles qui nous sont offertes contre les effets de la Chute, qui brouille notre entendement et affaiblit notre volonté. Elles jouent le rôle de ces fameux repères dont on ne cesse de déplorer la disparition. L’Eglise est irresponsable si elles ne les prêche pas sans équivoque à temps et – surtout – à contre temps.

 

NOTES:

1 Article à paraître dans quinze jours.

2 «Eglise et homosexualité: penser de manière oecuménique», par Martin Hoegger, pasteur, chargé du ministère de dialogue oecuménique et interreligieux dans l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud et accompagnateur de la Communauté des Soeurs de St-Loup. Nous reviendrons sur ce texte dans la prochaine Nation.

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Au sommaire de cette même édition de La Nation:
  • Sacha Guitry – La page littéraire, Jean-Blaise Rochat
  • De l’horizontalité nécessaire au contrepoint – La page littéraire, Daniel Laufer
  • † Pierre-André Bovard - Un grand Vaudois nous a quittés – Alexandre Bonnard
  • Michael Haydn à Moudon – Daniel Laufer
  • Les justes… et les autres? – Philibert Muret
  • Le peuple suisse face à deux guerres – Jean-Jacques Rapin
  • Non merci – Revue de presse, Philippe Ramelet
  • Le Tribunal Fédéral a raison – Revue de presse, Ernest Jomini
  • Pétard mouillé. Du Grütli à Sedelnikovo – Le Coin du Ronchon