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Une initiative inadéquate

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1875 6 novembre 2009
Une bonne initiative populaire répond à trois critères. Elle propose un but précis et clairement formulé. Son texte permet d’atteindre ce but en plein centre. Ses conséquences sont maîtrisables et ses effets secondaires marginaux.

Quel but visent les partisans de l’initiative contre les minarets? A quoi s’opposent-ils, et au nom de quoi? Au monde islamique au nom de l’Occident chrétien? au jihad au nom de la défense du territoire? à des moeurs étrangères au nom des nôtres? à une immigration non maîtrisée au nom de l’identité suisse? au communautarisme au nom de l’unité du droit? à l’obscurantisme au nom des Lumières et des droits de la femme? A ce que nous avons entendu lors des débats publics, il y a, en vrac, un peu de tout ça… Au fond, il s’agit surtout de manifester une réaction suisse énergique face à la présence d’un nombre élevé, et croissant, de musulmans. Il s’agit de leur montrer qui commande ici.

Que la présence musulmane annonce des problèmes de fond, religieux, sociaux et politiques, c’est peu contestable. La question est de savoir si l’initiative les pose bien et leur répond adéquatement.

Les auteurs de l’initiative traitent en un seul paquet des questions que la raison, mais aussi la volonté d’aller au fond des choses et d’agir efficacement leur faisaient un devoir de traiter distinctement: les questions théologiques et morales, qui sont l’affaire de l’Eglise, le respect des moeurs, qui relève des pouvoirs publics cantonaux, la protection du droit, notamment familial, qui doit être assurée par le législateur et les tribunaux, celle de l’ordre public, qui dépend de la police, y compris la police des constructions. Brassant le tout, l’initiative en fait une lourde pâte émotionnelle.

Ses auteurs répondront qu’ils n’entendent pas empêcher les musulmans de pratiquer leur religion et que l’objet de leur initiative est strictement politique: l’édification d’un minaret, jugent-ils, n’est pas un acte de piété mais de conquête, le début du mitage islamiste du territoire suisse. On se trouve donc dans le domaine de la défense dite nationale et c’est bien au pouvoir politique qu’il revient de prendre des mesures.

Ce n’est pas si simple. Le minaret a sans doute un aspect politique, notamment aux yeux des islamistes. Mais pour l’islam, la théologie et la politique sont intimement mêlées, voire confondues. Ce qui donne son sens, même politique, au minaret, c’est l’islam, c’est le Coran. On nous accordera que le Coran est d’abord un ouvrage religieux. Le muezzin appelle à la prière, non à la guerre sainte. Que les auteurs de l’initiative le veuillent ou non, quand ils s’en prennent aux minarets, c’est à la religion musulmane qu’ils s’en prennent. Beaucoup de leurs partisans ne le pensent d’ailleurs pas autrement.

Les interdictions législatives sont inefficaces en matière religieuse, c’est le moins qu’on puisse dire. Seule une religion peut s’opposer efficacement à une autre religion. Une action étatique éventuelle ne peut qu’emboîter le pas de l’Eglise quand celle-ci donne le ton en matière de moeurs publiques.

On nous objectera que, face à l’islam, la position de l’Eglise est aujourd’hui extrêmement formaliste et, pour tout dire, plus laïciste que chrétienne. C’est vrai. On le regrette, comme on regrette l’absence d’une politique d’immigration qui tienne compte des possibilités réelles d’assimilation des candidats. Mais c’est une illusion d’imaginer qu’un article constitutionnel comblera les défaillances de nos autorités spirituelles et temporelles.

Le minaret n’est que la pointe – non nécessaire – de l’iceberg islamique. Son interdiction n’empêchera pas les musulmans d’immigrer, de procréer, de construire des mosquées, d’y prier et d’y entendre d’éventuels appels militants. Elle ne les empêchera pas non plus de demander que les règlements scolaires et d’entreprises tiennent toujours mieux compte de leurs moeurs cultuelles, familiales et vestimentaires. C’est dans cette volonté religieuse, morale et sociale des musulmans que se trouve l’essentiel.

C’est peu dire que l’initiative passe à côté de cet essentiel: elle nous en détourne, focalisant toute l’attention sur l’élément périphérique des minarets.

Sur les effets secondaires d’une victoire de l’initiative à l’étrangers, on peut diverger. On peut penser que nos relations avec les pays musulmans s’en trouveraient détériorées. On peut penser à l’inverse que ce serait reçu comme une démonstration de force qui nous redonnerait une certaine existence à leurs yeux. Ce sont là des conjectures, et ce qui est sûr, c’est qu’on ne fonde pas un article constitutionnel, texte précis, durable et contraignant, sur des conjectures.

Les effets secondaires internes d’une victoire sont plus prévisibles. L’initiative lèse la souveraineté des cantons en matière de religion, alors même que, du fait des différences cantonales, restées particulièrement vivaces dans ce domaine, il s’impose de la respecter. Comment peut-on s’imaginer traiter semblablement Genève et le Valais en matière religieuse? Cet aspect des choses, qui met une fois de plus en lumière l’inadéquation politique de l’initiative, est à lui seul décisif.

Cette première intervention fédérale en matière de religion en appellera fatalement d’autres, sur l’égalité de traitement des religions, par exemple, sur la suppression de l’impôt ecclésiastique là où il existe et sur la séparation totale de l’Eglise et de l’Etat.

Certains de nos amis sont d’accord. Ils voteront néanmoins en faveur de l’initiative, jugeant qu’un échec représenterait une défaite de notre civilisation et qu’il vaut mieux, au point où nous en sommes, exprimer symboliquement une volonté de résistance, même faible et confuse.

Nous croyons que ce vote, rejet ou acceptation, n’aura pas l’importance symbolique qu’ils lui attribuent. Une «résistance» religieuse et politique contestée par les Eglises et par la Confédération n’impressionnera pas beaucoup ni longtemps. Pour les islamistes, une victoire de l’initiative constituera un événement marginal, un obstacle à contourner, un paramètre désagréable à inclure dans leur approche du monde occidental et de la Suisse en particulier. Rien de plus.

Buts multiples et flous, moyens inadéquats et détournant de l’essentiel, dommages collatéraux institutionnels, symbole superficiel et fugace: l’initiative contre les minarets est une mauvaise initiative. Nous voterons NON.

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