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La pensée nationale est-elle périmée?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1942 1er juin 2012

La pensée de M. Regamey, fondateur de la ligue vaudoise, est périmée. Ainsi en jugeait à la radio M. Jacques Poget, ancien rédacteur en chef de 24 heures. Mais de quelle «pensée» s’agit-il? M. Regamey n’a jamais eu la prétention de créer une philosophie originale. Dès le Gymnase, avant même de connaître l’Action française et Maurras, lui et ses amis s’étaient branchés sur la philosophie réaliste d’Aristote. M. Poget affirme- t-il également la péremption de la pensée aristotélicienne? C’est un gros morceau.

M. Regamey a appliqué l’approche réaliste à tous les domaines dont il s’est occupé, et en particulier à la politique. Il a inlassablement scruté sa propre communauté, le Pays de Vaud, ses moeurs, ses lois, ses personnages marquants, ses périodes lumineuses ou calamiteuses. Il l’a examinée sous les angles historique, sociologique, institutionnel, religieux, moral, psychologique, artistique.

Dans un aller et retour permanent, il rapportait les résultats de ses observations concrètes aux principes abstraits de la philosophie, puis revenait à la réalité vaudoise et ainsi de suite. Ce va-et-vient donnait un tour sans cesse nouveau à ses réflexions, à l’image des découvertes qu’on ne cesse de faire en marchant chaque jour dans un paysage connu par coeur.

Il n’était pas moins critique avec lui-même, et n’a jamais cessé de préciser et de rectifier les intuitions de sa jeunesse. C’est dans la direction générale de cette évolution que sa pensée doit être jugée. Ceux qui remontent soixante ans et plus en arrière pour tirer, hors du contexte, l’un ou l’autre article discutable de M. Regamey et qui l’exhibent avec des trémolos moralisateurs dans la voix pèchent à la fois contre l’intelligence et contre la bonne foi.

Une nation, c’est un peuple et un territoire, un destin unique et une culture originale. Contre les historiens officiels, il a montré que le Canton de Vaud correspond à cette définition et constitue le lieu le plus adéquat aux décisions politiques. Les institutions politiques ne sont réellement adaptées à un pays que lorsqu’elles expriment la quintessence de ses moeurs. C’est le fondement de notre combat fédéraliste.

Pour M. Regamey, la nation n’a jamais été un absolu. Il n’en a jamais fait le support d’une idéologie nationaliste. Il défendait la communauté vaudoise en tant que fait politique premier, en tant que donnée objective. Il la défendait non parce qu’elle était la meilleure, mais parce que c’était la sienne. Il la sentait du dedans et, comme Vaudois, était particulièrement bien placé pour en distinguer les richesses et les faiblesses.

La communauté nationale, au contraire de la race, n’est pas rigoureusement exclusive. Elle peut ouvrir la porte à l’étranger qui désire s’assimiler. Qu’on ait trop ouvert la porte ces dernières années est une autre question.

Il disait volontiers que la nation est un centre rayonnant avant d’être une frontière.

M. Regamey et ses amis ont d’emblée constaté la contradiction entre la nation et le régime démocratique. En tant qu’elle est un régime de partis, la démocratie divise la nation; en tant qu’elle est égalitaire, elle est unitaire, c’est-à-dire centralisatrice à l’intérieur de la Confédération et internationaliste au-delà. Selon cette pensée, dominante aujourd’hui, on n’atteint l’universel que par la suppression des caractéristiques nationales et des frontières qui les défendent.

Doit-on dès lors considérer que la pensée qui fait de la nation l’objet propre de la politique est périmée? C’est l’avis de M. Poget, et en général des modernistes, droite mondialiste et gauche internationaliste confondues. Les modernistes semblent triompher et leur action conjuguée abaisse chaque jour les frontières, en tout cas celles des états occidentaux. Mais leur succès apparent s’accompagne d’une dégradation sans précédent des nations qu’ils dissolvent et que rien de structuré ne remplace. Car la seule chose qui naisse et croisse sur les ruines des nations, c’est le désordre extensif du pouvoir et des réalités sociales qu’il est censé protéger et contenir.

Ce désordre suscite un peu partout, sous des formes plus ou moins extrêmes, l’apparition de partis identitaires qui se donnent pour objectif essentiel de mettre fin à l’arrivée en Europe des peuples exogènes.

Excessifs et passionnels par nécessité électorale, excluant de la communauté nationale les compatriotes qui ne partagent pas leur vision, ces partis donnent une image souvent caricaturale de l’action politique. La nation qu’ils affirment défendre n’apparaît pas toujours sous ses couleurs les meilleures et les plus justes dans leurs campagnes de vote. Néanmoins, les rejeter dans les ténèbres du dehors, c’est rejeter du même coup les réalités collectives profondes qui fondent leur engagement et expliquent leur succès.

Aujourd’hui, l’opposition est totale entre ceux qui soutiennent cette réaction identitaire et ceux qui la condamnent au nom de l’universalité des droits de l’homme. C’est dire l’actualité d’une pensée pour laquelle c’est en perfectionnant leur réalité particulière, et non en la supprimant, que les nations touchent à l’universel.

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