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Le monde de Manu

Jacques Perrin
La Nation n° 2111 7 décembre 2018

La plus grande maladie, et le plus grand danger pour la tête de l’Etat, est l’insolence des grands.

(John Donne)

Un Vaudois dirait du président de la République française, Emmanuel Macron, qu’il a bonne façon. Pourtant le vernis est déjà blanchi, la nouveauté éventée. On a affaire à un John Kennedy d’occasion, à un Giscard d’Estaing, voire à un petit marquis de la fin du XVIIIe siècle qu’une révolution va surprendre.

L’itinérance mémorielle d’Emmanuel Macron le conduit sur des sentiers battus. Nous en voulons pour preuve le discours qu’il a tenu lors de la célébration de l’armistice de 1918.

L’essentiel consiste à dire que les combattants français et leurs alliés, de toutes les couleurs, ont lutté pour des valeurs universelles. Depuis la Révolution de 1789, la France serait porteuse d’un idéal. Il s’agirait d’unir toutes les nations du monde au nom de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. Selon M. Macron, les Français étaient certes patriotes, mais ils luttaient surtout pour LA liberté. Soldats du droit, ils voulaient un monde meilleur. Leur guerre aurait dû être la der des ders, mais de fâcheuses raisons gâchèrent le triomphe d’une juste cause et vingt ans plus tard, la lutte reprit. M. Macron nomme plusieurs facteurs ayant produit ce malheur: l’humiliation, l’esprit de revanche, la crise économique, les échecs douloureux de la Société des Nations et du Traité de Versailles.

Pourquoi les vaincus furent-ils humiliés? Pourquoi voulaient-ils une revanche? Qui fut responsable de la malfaçon du Traité de Versailles? M. Macron ne le dit pas, car l’universalisme utopiste et le désir du président des Etats-Unis Woodrow Wilson de faire justice des méchants ne furent pas pour rien dans le ressentiment des vaincus.

Nous partageons tous le souci de M. Macron d’établir une paix durable. La paix vaut mieux que la guerre – toutes les miss France le savent –, mais nous doutons que l’unification à marche forcée de l’Europe et du monde soit le moyen d’y parvenir.

Après chaque guerre, c’est la même chanson: le monde est enfin rendu à la paix, on démantèle les empires tout en pestant contre le nationalisme (le nationalisme, c’est la guerre), on rêve d’une Europe politique, de l’amitié entre les peuples, d’instances et de forums permettant aux ennemis d’hier d’engager le dialogue et d’en faire le gage d’une harmonie enfin possible.

Seulement, les démons anciens ressurgissent. Le nationalisme ralentit la marche vers le monde réconcilié, figuré par l’Organisation des Nations Unies, que nous voulons, décidons, construisons et exigeons de toute notre âme, car la fraternité nous invite […] à mener ensemble le seul combat qui vaille.

Il faut donc encore se battre. Contre qui? Contre les clercs qui trahissent à nouveau, qui alimentent les contre-vérités ? Contre les peuples qui refusent de disparaître? Contre les gilets jaunes? Les combattra-t-on comme l’OTAN a combattu la Serbie en 1999, cette Serbie fidèle alliée de la France, dont les pertes furent, proportionnellement à sa population, les plus grandes de toutes les nations engagées dans la Première Guerre mondiale? Cette Serbie, dont le président fut relégué au dernier rang des invités à la cérémonie du 11 novembre au profit de M. Hashim Thaçi, président du Kosovo?

Dans son discours, M. Macron dit aussi que l’Histoire menace parfois de reprendre son cours tragique et de compromettre notre héritage, que nous croyions avoir définitivement scellé du sang de nos ancêtres. On s’interroge sur le parfois. Le monde meilleur de M.Macron sera-t-il dépourvu de tragique? De quel monde s’agira-t-il? La communication habituelle (autrement dit la propagande) de M. Macron et de ses sbires nous en donne une idée. C’est un monde tolérant, festif, multiculturel, coloré, riche, fondé sur la réussite financière de quelques-uns, immergé dans les nouvelles technologies, porté par les avancées scientifiques et médicales.

En 2016 déjà, sous le règne de François Hollande, les Français auraient dû profiter à Verdun d’un concert du rappeur Black M, qui fut annulé. Ils virent alors à Douaumont des hordes d’enfants des écoles, allemands et français, gambader entre les tombes des combattants.

En 2018, M. Macron laisse transparaître son imaginaire et ses valeurs à plusieurs reprises. Lors de la fête de la musique, transformant l’Elysée en dancefloor, il invite, parmi les milliers d’artistes disponibles, le groupe transgenre de Kiddy Smile qui se proclame fils d’immigré, noir, pédé. Il loue les Danois luthériens et blâme les Gaulois réfractaires. Il lance des petites phrases aux chômeurs: La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ; je traverse la rue et je vous en trouve, du boulot ; dans une gare on croise ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien. Il jette des clins d’œil aux décoloniaux et aux féministes en refusant le «plan banlieue» présenté par Jean-Louis Borloo: Ça n’aurait aucun sens que deux mâles blancs disent aux banlieusards ce qu’ils doivent faire. Il fait la morale à deux jeunes repris de justice des Antilles françaises, puis enlace leurs torses nus et humides sous l’averse; l’un dresse un doigt d’honneur, pendant que la maman de l’autre verse des larmes: complicité sentimentale avec les ex-colonisés et le monde du crime, allusion homosexuelle, tout est au mieux.

Comment le président, après de telles démonstrations à l’usage de diverses clientèles électorales, a-t-il pu recadrer un adolescent qui l’interpellait ainsi: Ça va, Manu?

Dans son monde, Manu fréquente les bourgeois des villes et les patrons de start-up innovantes; il n’y a pas de place pour les pauvres avides de consolation et de protection.

Est-ce bien le nationalisme qui a causé les guerres? Ceux de 14 ne se battaient ni pour des valeurs, ni pour la nation ou la patrie considérées abstraitement, mais pour les femmes et les enfants laissés à l’arrière, par solidarité avec les camarades de section, pour remplir leur mission et si possible survivre jusqu’à la prochaine permission.

Qu’est-ce qui déclenche les guerres modernes? Ne serait-ce pas les avancées scientifiques et économiques mal digérées, la modernité technique déferlante, l’urgence de changer les mentalités, l’ardeur uniformisante des utopistes, la destruction systématique des frontières protectrices?

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