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Le 14 juin, une manifestation pour toutes les femmes?

Joëlle Pasche
La Nation n° 2130 30 août 2019

A la suite des manifestations du 14 juin, jour où mes sœurs ont défilé au rythme de divers slogans parfois terriblement fleuris, je conçois que les hommes blancs de ce coin de pays doivent avoir une bonne dose d’humour pour survivre à toutes leurs bassesses dévoilées, et j’ai souvent des pincements au cœur pour mes deux garçons!

Il faut admettre qu’ils ne sont pas les seuls… Il y a une frange de la gent féminine qui est également susceptible de se sentir combattue. Je pense que je suis une représentante de cette catégorie. Non pas tellement parce que je n’étais pas présente dans les rues ce jour de juin; ce n’est d’ailleurs pas par haine, ni par manque de sympathie pour certaines revendications, mais par méfiance envers les mouvements de masse et, je l’avoue, j’ai un peu de mal avec les slogans vulgaires. Comme Cyrano, je trouve qu’il y avait bien des choses à en dire, ma foi, mais là c’était très, très court!

Mais principalement parce que je suis une femme non émancipée, dépendante de mon mari. Au fil des lectures de différents articles, je ressens une pression manichéenne: il faut choisir son camp. Pour ou contre. Pas d’entre-deux. Et moi, à ce jeu-là, j’ai volontairement choisi le camp du mal (mâle…). Oups! Et j’entends déjà le verdict: traîtresse!

Je représente, pour certaines jeunes filles de l’entourage de mes enfants, l’exemple-type de la femme soumise. Donc en souffrance, mais qui l’ignore. Ce mal qui me ronge est subtil et ne se laisse pas débusquer aussi simplement.

Comprenez: on me soupçonne fortement, comme mère de famille, de ne pas travailler… Déjà là, il me faut une grande respiration… Je nettoie, lave, lessive, commissionne, repasse, jardine, cuisine, écoute, et ce n’est rien! Quel mépris! Pour la femme de ménage, le jardinier, le cuisinier, le nettoyeur chimique… Toutes ces personnes qui passent leur journée à réaliser ce qu’autrui ne souhaite pas faire? Car, pour celles et ceux qui travaillent à 100%, ils sont d’une grande utilité. Mais la femme au foyer qui décide de faire cette part… ce n’est rien. Et qui le dit? Les féministes! Jamais mon mari n’a tenu de tels propos. Au contraire, chaque jour il me remercie. Il est conscient du temps et de l’énergie que cela me demande. Acceptez qu’à ce point-ci déjà, j’opte pour le machiste plutôt que pour la féministe!

En réalité, je travaille. A temps partiel. Là, encore une volée de bois vert: c’est dégradant, je n’ai pas exploité mon potentiel de façon libre, j’ai été entravée par mon mari et mes gamins! Il y a quelques années, c’était une demande féministe que le travail à temps partiel se développe, pour permettre aux femmes de concilier famille et travail. J’étais assez contente de cette possibilité! Non, là encore, je n’ai pas su voir que j’étais brimée. Mes consœurs ont développé un concept: la charge mentale. En effet, sur ce point je le concède, cela fait des années que je dis que je gère l’agenda de six personnes! Et j’admets que c’est aussi pour cette raison que je n’augmente pas mon taux de travail, car je ne veux pas m’épuiser. Mais pourquoi ne pas avoir un mot valorisant pour cette part d’ombre du travail à la maison?

Si les jeunes filles m’imaginent soumise à mon mari, après discussion et approfondissement, c’est principalement parce que je ne peux pas subvenir seule à mes besoins! Elle bosse, soit, mais n’est même pas payée pour cela. C’est dégradant! On glisse lentement d’un rôle mineur à une évaluation mercantile insatisfaisante! J’ai lu récemment que je perdais des centaines de milliers de francs en deuxième pilier virtuel. Mon travail à domicile vaudrait 7500.– par mois, m’a-t-on appris… J’avais pour ma part une vision bien plus bienveillante à mon égard. J’accolais des termes surannés et grandiloquents à mon comportement: désintéressement, dévouement,… Je m’égarais, semble-t-il. J’ai donc opté pour le mauvais choix, partiellement de mon plein gré, mais grisée par mes propres mensonges.

Tout récemment, au détour d’une lecture, j’ai appris que je continuais de cumuler les erreurs. Je pensais que fonder une famille nombreuse était un bienfait. Il y a les bonheurs simples des enfants couratant dans la maison, les bons mots authentiques qu’ils savent placer, les rires, les chants, etc… Et sur une liste que j’avais élaborée (je ne plaisante pas!) j’avais noté «aide pour les retraites futures»… Il y avait un côté pragmatique à mon désir de maternité. Je le croyais. Or j’ai lu que j’avais tout faux. A cause de mon insatiable besoin de procréer (quatre donc), j’ai agrandi – de façon exponentielle – le taux de CO2 meurtrier. En résumé: les enfants vivent, mangent, voyagent et produisent du CO2. Plus il y a d’enfants, plus le CO2 augmente. Logique! Et le pire, c’est qu’ils risquent à leur tour de se reproduire…

Donc, sur ce point, ce ne sont pas les féministes qui m’ont lancé la salve, mais les écologistes. Quoi que je fasse, j’ai tort.

C’est étonnant, parce que pour ces derniers, si on y réfléchit, je suis assez proche des décroissants: petit salaire, peu d’argent, peu de consommation,…

Je ne suis pas descendue dans la rue le 14 juin pour cette raison principale: nous ne vivons pas dans un monde blanc ou noir, bien ou mal. La vérité est plus complexe et heureusement plus colorée!

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