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Co-direction?

Jean-François Cavin
La Nation n° 2134 25 octobre 2019

Diverses entreprises s’essaient au système de la direction bicéphale (qu’on doit bien sûr désigner d’un terme anglais: topsharing, le partage au sommet). Le mensuel PME Magazine y consacre un article dans son numéro d’octobre; on y voit que cette formule tente certaines sociétés, en nombre à vrai dire très limité, mais de toutes tailles, de la maison familiale ou du duo d’amis qui se lance dans l’aventure économique jusqu’à des entreprises de plusieurs centaines de personnes, et même la Deutsche Bank pendant quelque temps (mais ça n’a pas duré).

C’est un peu dans l’air du temps. Celui d’une société «fluide» qui répugne à définir clairement les fonctions et à personnaliser le pouvoir. D’une société où le mélange des genres a la cote, le binôme femme-homme élargissant l’éventail des compétences et des sensibilités. D’une société qui refuse l’aliénation par le travail, certains dirigeants désirant éviter la surcharge professionnelle pour mieux se consacrer à la famille ou aux loisirs, grâce à la répartition des responsabilités directoriales. C’est peut-être aussi un mode d’organisation qui, dans une économie où l’éclatement des méthodes et la diversification des marchés rend malaisée la maîtrise complète des affaires, permet de mieux embrasser les problèmes à la faveur des compétences complémentaires d’un duo patronal.

Le procédé n’est certes pas tout à fait nouveau. Il y a d’abord le cas, fréquent dans les petites entreprises, où mari et femme mènent l’affaire ensemble; mais l’union conjugale assure (on l’espère du moins) une bonne communauté de vues. On connait aussi nombre de maisons familiales qui, au départ du père fondateur, sont reprises par deux frères, ou une sœur et un frère; souvent l’un s’occupe de la partie technique et l’autre de la partie commerciale et administrative; si la fratrie est unie par la solidarité familiale, cela peut marcher; mais l’observation de ces cas montre que, bien des fois, l’un des deux devient le vrai patron.

Il convient en effet de distinguer les questions. Il y a d’abord celle de la répartition des responsabilités sectorielles de conduite entre plusieurs personnes. Dès qu’une entreprise atteint une certaine taille et une certaine complexité, il s’impose de l’articuler en départements qui ont chacun leur chef; le conseil de direction groupe tous ces dirigeants, mais cela n’exclut nullement qu’un directeur général conduise l’ensemble – il faut d’ailleurs quelqu’un pour présider le collège.

Il y a ensuite celle du conseil dont peut ou doit s’entourer le patron. Celui-ci trouvera, pour les décisions d’ensemble qui lui appartiennent, un appui bienvenu auprès des membres de la direction, qui ne se cantonnent pas nécessairement aux affaires de leur département. Dans ce conseil, la diversité des savoirs, des contacts extérieurs, des tempéraments nourrit précieusement le débat et renforce les bases de la décision finale. Le conseil fonctionne d’autant mieux que ses membres sont animés par une certaine amitié mutuelle, et non par un esprit de compétition malsain qui vient de faire des ravages à la tête d’une grande banque; cela suppose que le rôle légitime du patron soit reconnu de tous.

Ce qui nous amène au troisième aspect du problème. L’unité de direction doit être assurée. Une entreprise n’est pas une collectivité stationnaire dans un environnement statique. Elle est en mouvement perpétuel, pour adapter sa production, conquérir un nouveau marché, avancer dans l’innovation, résister à la concurrence, faire face aux caprices de la conjoncture. Il faut que le personnel, et les actionnaires s’il y en a, et peut-être la clientèle voire le public, sachent où elle va. La direction doit opérer la synthèse de tous les éléments humains, techniques, commerciaux, socio-économiques déterminants pour tracer la feuille de route.

L’article de PME Magazine, d’ailleurs prudent dans son exposé, sacrifie à la mode dans sa conclusion: Le monde professionnel est en pleine ébullition. L’ère est à la collaboration, à la gestion par projets. On tente par tous les moyens d’abolir la hiérarchie. Dans cette révolution, les entreprises ont-elles toujours besoin d’un capitaine pour leur montrer le nord ? A son échelle, le topsharing préfigure un monde professionnel où le pouvoir s’exerce collectivement.

Sans oublier les bienfaits de la collégialité au sein d’un conseil de direction bien conçu, sans sous-estimer les exigences de mobilité du monde économique actuel et les risques de sclérose d’une direction autocratique, sans exclure des réussites occasionnelles de co-direction, nous pensons tout de même que la présence d’un patron à la tête de l’entreprise, bien identifié et assumant le poids de la responsabilité finale, garantit au mieux la convergence des efforts, l’unité d’intention, de volonté et d’action, la cohésion de l’ensemble. Elle incarne d’ailleurs un pouvoir qui ne doit pas rester anonyme ou diffus pour reposer sur la confiance.

Les bienfaits du pouvoir personnel ne se limitent d’ailleurs pas au domaine de l’économie d’entreprise.

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