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Actualités  |  Mardi 17 juin 2014

La Suisse, «îlot de cherté»?

La formule «îlot de cherté» qu'on utilise constamment à propos de la Suisse est irritante. Le monde officiel la ressasse comme s'il s'agissait d'une réalité avérée, et d'une réalité scandaleuse qu'il fallait éradiquer par tous les moyens.

Sans doute la vie est-elle, en général, plus chère en Suisse que dans les pays voisins. Mais comment voulez-vous être bien payé sans que vos produits ou vos service ne soient vendus plus chers? La dépense de l'un est le salaire de l'autre. Le prix plus élevé d'un produit contient le salaire plus élevé de ceux qui l'ont conçu, fabriqué et livré. Le boulanger de Lutry vend son pain plus cher que le boulanger de Thonon parce qu'il veut acheter à Lutry un poisson qui est est plus cher qu'à Thonon, à cause du prix du pain d'ici que le pêcheur désire acquérir sans devoir traverser le Lac… Vous me suivez? Pour faire court: tout se tient.

Et pour être complet, il faudrait ajouter que l'îlot de cherté incriminé est aussi un îlot de prospérité. La cherté découle de la prospérité. Il y a quelques années, on a essayé une idée géniale pour casser la cherté tout en conservant la prospérité: il s'agissait du fameux Cassis-de-Dijon. Cela consistait à ne plus soumettre les produits étrangers aux exigences de qualité qu'on continuerait à imposer aux produits suisses.

Mme Leuthard et le Conseil fédéral estimaient le gain pour les ménages suisses à deux milliards. Personne ne sait comment ils avaient calculé ce montant, ni où il est passé. En revanche, tout le monde sait que la suppression des exigences sur les produits importés a avantagé les producteurs étrangers au détriment des producteurs suisses. Elle a aussi ouvert les vannes à toutes sortes de cochonneries alimentaires.

Car l'îlot de cherté et de prospérité était aussi un îlot de qualité, et la qualité se paie. L'îlot de qualité s'est abaissé, l'îlot de prospérité (pour certains producteurs suisses) aussi. L'îlot de cherté, lui, a pleinement subsisté. Il y a, en haut lieu fédéral, quelques îlots de stupidité qu'on aimerait bien voir éradiqués eux aussi.

Le terme lui-même d'«îlot» est discutable. Des dizaines de milliers de Confédérés travaillent dans l'Union européenne et d'autres dizaines de milliers d'étrangers travaillent chez nous. Si la Suisse est un îlot, il est en tout cas aussi facile d'y accoster que d'en partir.

La Suisse forme un tout économique d'une relative cohérence où, dans les cadres cantonaux, les salaires et les prix s'équilibrent, où prévaut une certaine conception du travail et des relations entre les partenaires sociaux, où les consommateurs sont protégés. Ce sont autant de facteurs de prospérité, de qualité et de sécurité. Ils ont un coût qu'il faut assumer. On doit sans doute les tenir, et les ajuster continuellement les uns aux autres, mais en gardant à l'esprit que toute modification de l'un se répercute sur les autres, et sur l'ensemble.

(Olivier Delacrétaz, 24 heures, 17 juin 2014)