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Liberté personnelle et contrôles publics

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1838 6 juin 2008
Les caméras de surveillance se multiplient, dans les banques, les grands magasins, les rues et les préaux scolaires. Les radars routiers surgissent aux endroits les plus imprévus, trop tard pour que le conducteur en faute puisse réagir, sources infinies de rentrées financières pour les pouvoirs publics. Le secret bancaire est l’objet d’attaques continuelles. On contrôle les urines des sportifs de pointe et, bientôt, celles des écoliers vaudois suspects de se droguer. On parle de greffer une puce électronique dans le bras de chaque nouveau-né, de façon à ne pas perdre sa trace au cas où on l’enlèverait. Dans certains pays, il suffit à un policier d’introduire le numéro de la plaque d’un suspect dans un ordinateur pour connaître non seulement son adresse et son état-civil, mais aussi son casier judiciaire, sa déclaration d’impôts, ses polices d’assurance et mille autres renseignements confidentiels.

Les séries policières américaines mettent en avant les services spectaculaires qu’apportent à la justice l’établissement de bases de données personnelles sur une bonne partie de la population, l’exhaustivité des renseignements qu’on y trouve – empreintes, aDN, biographie détaillée, etc. –, l’unification des logiciels, qui permet l’intégration de fichiers tiers à la banque centrale de données, et la rapidité d’accès offerte par des machines surpuissantes.

Quand, face à cette invasion déferlante d’yeux et d’oreilles artificiels, on exprime quelque crainte pour l’avenir de la liberté individuelle, on nous répond que ces contrôles ne gênent que ceux qui se comportent mal. Celui qui respecte les vitesses imposées, traverse dans les passages jaunes, ne dissimule pas d’argent au fisc, ne se dope pas avant l’effort, ne consomme ni ne vend de stupéfiants n’a rien à craindre.

On acquiesce, parce que c’est logique. Mais en même temps qu’on acquiesce, on éprouve un léger malaise, parce qu’on sent que ce n’est pas tout à fait vrai.

D’abord, la question n’est pas seulement de savoir si l’observé est sans reproche. Il s’agit aussi de savoir si ceux qui l’observent le sont: nos politiques et nos administratifs sont-ils sans reproche? On ne peut s’empêcher d’imaginer des abus ou des dérives. Lors de l’«affaire des fiches», par exemple, on a vu que les fichiers incriminés étaient mal tenus, que certains étaient disproportionnés, souvent caducs, voire inutilisables. On se dit aussi que ce gigantesque gisement de renseignements pourrait facilement être détourné de sa fin. Des pirates informatiques pourraient s’y glisser pour le plus grand profit de leurs commanditaires occasionnels. Pensons à ces gouvernements européens qui n’hésitent pas à recourir à des méthodes illégales pour connaître l’état de fortune de certains de leurs ressortissants. Cela engendre quelques inquiétudes.

Nous ne prétendons pas dénoncer un Big Brother vaudois ou suisse. Nous éprouvons juste une légère méfiance, pour le moment.

«Ces contrôles ne gênent que ceux qui se conduisent mal»? Ce serait peut-être vrai si nous étions de purs esprits. Mais l’homme est aussi un corps, placé dans l’espace et dans le temps. Cet aspect matériel détermine pour une part la façon dont il exerce sa liberté. en d’autres termes, l’homme n’est libre que s’il dispose d’une portion d’espace et de temps qu’il maîtrise, une bulle de souveraineté personnelle dans laquelle il peut se retirer et se recueillir, pour se refaire, pour «être à soi», qu’il peut ouvrir à ses amis et interdire aux autres. C’est ce qui fait qu’aucun individu ne supporte qu’on lise par-dessus son épaule, parle sous son nez, ouvre son courrier, qu’on le dévisage ou qu’on entre dans sa chambre sans frapper. Cela ne signifie pas qu’il se conduit mal. La pudeur n’est pas de l’hypocrisie. Les persiennes n’abritent pas toujours de secrètes luxures.

Ce besoin vital d’être propriétaire de son corps et de ses alentours immédiats est durement malmené par l’omniprésence de ces instruments de contrôle.

On nous répondra avec raison qu’il n’y a pas de liberté individuelle sans un minimum de sécurité dans les rues. C’est vrai, et cette intrusion dans notre vie personnelle de la technique au service de l’ordre est une réponse nécessaire à l’augmentation du désordre et de la délinquance.

Mais il faut être conscient que c’est une réponse de pure contrainte, une réponse toute mécanique, bien éloignée de l’équilibre social vivant qu’assurent les moeurs et l’éducation… quand elles existent. Les radars et les caméras sont un moindre mal. Il convient de n’y recourir que parcimonieusement.

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