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La souveraineté, c’est pour tout le monde

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1876 20 novembre 2009
Le 3 novembre, à Berne, s’est tenu un forum consacré à la «souveraineté alimentaire», organisé et soutenu notamment par Uniterre (anciennement Union des Producteurs suisses), le syndicat UNIA et la Fédération romande des Consommateurs. Dans la foulée, Uniterre prévoit de lancer une initiative pour inscrire dans la Constitution fédérale un article 104 bis sur la souveraineté alimentaire (1).

A part l’UDC, l’ensemble du monde politique suisse considère l’ouverture des frontières et la soumission aux règles du marché mondial comme le but suprême de notre politique étrangère. La notion de souveraineté, comprise comme le droit d’un Etat de décider en dernier ressort pour tout ce qui le concerne, lui apparaît comme une notion vide de sens. Cette position, à la fois libérale, radicale, démo-chrétienne et socialiste, est partagée et propagée par toute la grande presse.

Il est d’autant plus intéressant de voir la notion de souveraineté remise à l’honneur aujourd’hui par des associations écologiques et de gauche réagissant aux effets de la mondialisation économique, aux diktats libéraux de l’organisation mondiale du commerce et à la mise en boîte de la paysannerie par les multinationales de l’agroalimentaire.

Le référendum contre le Cassis de Dijon procédait du même esprit souverainiste et visait le même but: empêcher que, au nom de la concurrence érigée en principe premier, les producteurs d’ici ne soient désavantagés par rapport aux producteurs étrangers.

Mais pourquoi ne revendiquer la souveraineté que dans le domaine alimentaire?

Certes, l’agriculture est un domaine un peu à part de l’économie. Elle est plus qu’aucune autre activité menacée par la mondialisation. L’accord sur le libre-échange agricole qui se rapproche à grand pas pourrait être fatal à nombre d’exploitations lors même qu’elles n’ont pas démérité. Mais les autres activités économiques ne sortiront pas non plus indemnes de cette évolution. Elles souffriront elles aussi, elles souffrent déjà de la suppression progressive des frontières et des barrières qui nous protègent, ou nous protégeaient.

Les conventions collectives, par exemple, qui sont des réussites sociales profitant aussi bien aux employés qu’aux patrons et aux consommateurs, sont menacées par la déstructuration galopante de notre ordre économique. Les syndicats ouvriers et patronaux pourraient donc, et non sans motifs, plaider pour une «souveraineté sociale» qui permette aux Suisses de protéger les résultats des négociations salariales menées dans le cadre de la paix du travail. Et les médecins, ne seraient-ils pas fondés à défendre une «souveraineté sanitaire» assurant le respect de nos normes d’hygiène et de nos conceptions des relations entre le praticien et le patient, entre l’infirmière et le malade? Les enseignants pourraient quant à eux revendiquer une «souveraineté pédagogique» découlant de la formation particulièrement poussée qu’ils reçoivent en Suisse. Même chose pour les restaurateurs, les avocats, les entrepreneurs, les assureurs… Tous pourraient demander que l’Etat fédéral étende sa protection souveraine sur leur activité professionnelle.

De plus, les diverses activités économiques sont étroitement dépendantes les unes des autres. Du point de vue politique, l’économie interne forme un tout relativement cohérent. Les paysans ne se sauveront pas tout seuls des griffes des prédateurs politiques et économiques internationaux. Et le reste de la société ne se sauvera pas sans sauver l’agriculture.

Uniterre rappelle avec raison la fonction défensive de l’Etat fédéral. Mais la Confédération n’est pas un simple organe faîtier dont la fonction serait de protéger des intérêts sectoriels. Elle est d’abord une alliance politique. Elle fédère ces communautés territoriales et historiques que sont les Etats cantonaux. C’est leur protection qui est sa raison d’être. La défense des intérêts sectoriels, en particulier économiques, n’est qu’un effet secondaire et indirect de cette fonction primordiale.

La lutte des verts et de la gauche en faveur de la souveraineté alimentaire ne prendra son sens et n’aura d’efficacité qu’incorporée à une souveraineté politique rétablie dans son intégralité.

Une telle souveraineté a besoin d’un gouvernement sûr de lui et intransigeant, mu par la seule volonté de faire prévaloir l’intérêt de la Confédération face aux Etats étrangers et aux grands groupes de pression – ceux-ci n’en font pas moins pour faire triompher leurs propres intérêts. La souveraineté est indissociable de l’existence de vraies frontières, qu’on peut ouvrir mais qu’on a aussi les moyens, administratifs, policiers et militaires, de fermer.

Uniterre et les autres promoteurs de la souveraineté alimentaire sont-ils prêts à aller jusque-là?

 

NOTES:

1) on en trouvera le texte à l’adresse internet suivante: www.uniterre.ch/doc/projetinitia tive_aout08_104bis.pdf.

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