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Retour du balancier?

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1916 3 juin 2011
Le dernier rapport annuel sur la sécurité publié par l’Académie militaire et le Centre d’études sur la sécurité de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich indique des tendances remarquables. Le nombre des personnes sondées qui réclament une politique étrangère suisse autonome est le plus élevé depuis 1993, date de la publication du premier rapport. En matière militaire, septante-neuf pour cent des Suisses considèrent que l’armée est une nécessité. La catégorie 20 à 29 ans partage cet avis à soixante-neuf pour cent, soit quinze pour cent de plus que l’année précédente. Les engagements militaires à l’étranger sont de moins en moins approuvés par la population. Nonante-quatre pour cent des citoyens sont partisans de la neutralité… et seuls dix-neuf pour cent désirent adhérer à l’Union européenne. Dix-neuf pour cent!

En ce qui concerne la confiance, c’est la police qui en inspire le plus, suivie des tribunaux puis, en ordre décroissant, viennent l’armée, le Conseil fédéral, le parlement. Tout en bas, les médias, puis les partis (les débats du Grand Conseil sur l’école vaudoise ne vont certes pas modifier ce classement).

Les causes de ce retour de balancier sont multiples. La première, peut-être, est le constat que le mouvement de contestation de l’«ordre bourgeois» déclenché en mai 1968 a totalement échoué. Son rêve libertaire n’a produit, dans les nombreuses institutions qu’il a infiltrées, qu’un bougisme aussi épuisant que stérile. Non seulement le rêve ne s’est pas réalisé, mais il a abouti à son exact contraire: sous la houlette des acteurs de Mai 68, la bureaucratie, le capitalisme international, la pensée unique, la scolarisation de l’université et la consommation de masse, en d’autres termes leurs ennemis déclarés, se sont développés plus largement et plus rapidement que jamais dans toute l’histoire de l’humanité.

Il faut être conscient toutefois que l’explosion de Mai 68 s’inscrivait dans une certaine logique. Ce n’était pas un événement sans cause, mais l’expression paroxystique d’un individualisme qui sévissait depuis fort longtemps. Cet individualisme, hédoniste en morale, étatiste en politique, l’officialité bourgeoise de gauche et de droite y reste attachée comme le pendu à la corde, même si les succès électoraux de l’UDC la font parfois douter.

De même, un certain nombre de décisions prises durant cette période produiront encore durablement leurs effets néfastes: centralisation par esprit de système, ingérences politiques au mépris de notre neutralité, traités signés à la hâte, par désir de faire comme tout le monde, par manque d’imagination ou dans le but de se faire valoir dans les médias et de laisser une trace dans les livres d’histoire.

Les statistiques du rapport s’expliquent aussi par l’évolution du sentiment général à l’égard de l’Union européenne. On peut en effet douter de l’efficacité de cette union quand on considère les problèmes de la zone euro et les perspectives de faillite d’Etat qui s’annoncent pour la Grèce, le Portugal et l’Irlande, en attendant d’autres. Mais surtout, les plus europhiles des Suisses ont bien dû constater, à la longue, que l’Union européenne ne s’est pas comportée à notre égard avec ce surcroît d’ouverture et de bonne volonté qu’ils lui prêtaient a priori. L’UE n’a pas non plus diminué le nationalisme prédateur de ses membres ni adouci leur rapacité financière. Les discours brutalement moralisateurs de l’Allemand Steinbruck et du Français Woerth nous sont apparus comme porteurs de menaces très concrètes. On devrait presque leur en être reconnaissant. Ces deux-là ont beaucoup fait pour le raffermissement moral des Confédérés.

Ainsi se vérifie une fois de plus cette vérité séculaire que la Suisse n’est pas une civilisation, mais un organisme de défense. Ce qui fédère la Confédération, ce n’est pas la «volonté de vivre ensemble», comme on le dit souvent, mais la menace extérieure. Ce sont ses ennemis qui font la Suisse.

Les réactions mises en lumière par le rapport sur la sécurité sont réjouissantes, mais elles sont essentiellement affectives. Elles expriment le sentiment qu’on est injuste avec la Suisse, que nos autorités sont insuffisantes et que «ça commence à suffire». Vont-elles modifier autres chose que les discours des partis «bourgeois», en attendant que le balancier reparte dans l’autre direction? Politiquement, rien ne sera fait tant que ces réactions ne seront pas transcrites en institutions et en décisions concrètes conformes à la nature permanente de la Suisse, neutre et armée, certes, mais aussi et d’abord composée de vingt-six Etats cantonaux.

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