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Occident express 43

David Laufer
La Nation n° 2135 8 novembre 2019

C’était une fin d’après-midi idyllique à la campagne. Nous terminions un ragoût de veau sous un soleil rasant, sirotant notre petit vin maison, observant le chat qui venait, pour la première fois devant nous, d’attraper une souris. De loin j’ai vu un vieil homme hésitant sur ses pattes ouvrir en le faisant grincer le portail du jardin. Je n’aime pas les gens qui s’invitent sans s’annoncer et, me dressant de ma chaise, je me suis porté au-devant de l’intrus. Mon beau-père, derrière moi, m’a fait signe que ce n’était pas un inconnu, bien au contraire, mais le vieux Zoran, qu’il connaît depuis des décennies. Nous nous sommes rassis et nous avons rempli nos verres. Passé les politesses d’usage, la discussion s’est portée sur les questions pratiques: les vendanges, les voisins, la floraison – si délicate – des abricotiers. Et le chemin de terre qui nous permet d’accéder à la maison. Ce chemin d’environ 400 mètres est un sujet récurrent. Creusé de rigoles aux premières pluies de juin, poussiéreux dans la chaleur d’août, glissant dans les neiges de janvier, nous avons souvent songé à le garnir de gravier. Mais ça coûte. Alors, on discute entre voisins. Zoran est un brave homme, mais il n’est pas un homme de biens. J’avais à faire, j’ai laissé les anciens régler, ou à tout le moins tenter de régler ce vieux serpent de mer entre eux. Au bout d’une demi-heure environ, Zoran est reparti, chancelant un peu plus encore sur ses maigres pattes, nous saluant de sa main hésitante. Et mon beau-père m’a raconté comment, voyant que je n’étais plus là, Zoran a fait venir mon fils qui se promenait par là, et lui a dit, tout sourire et à voix basse: «Petit, ton papa, il a de l’argent. Pourquoi tu lui demanderais pas, à lui, de payer pour ce chemin, hein, dis?» Mon fils, bien évidemment, n’a rien trouvé à lui répondre. Mais j’en fulmine encore aujourd’hui. J’évoque souvent dans cette chronique les riches et les pauvres, le pot de fer contre le pot de terre, les puissants et les démunis, pris comme je le suis entre mes origines et mes circonstances actuelles. Une éducation religieuse, ou plus simplement de bons sentiments, peuvent aisément donner toujours raison aux uns contre les autres. C’est la morale de presque toutes les paraboles. Le vieux Zoran m’a rappelé qu’au-delà de ces généreuses notions, la bêtise, la malhonnêteté et le cynisme ignorent très heureusement nos âges, nos origines autant que l’état de notre compte en banque.

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