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La vertu de force

Jacques Perrin
La Nation n° 2229 16 juin 2023

La violence, selon les dictionnaires, est une force exercée par une personne (ou un groupe de personnes) pour en soumettre une autre, un ensemble d’actes commis volontairement à l’encontre d’autrui, sur son corps essentiellement.

La force, énergie musculaire qui permet à un être vivant de réagir face à d’autres êtres ou d’agir sur son environnement, intègre aussi les ressources morales et intellectuelles permettant de s’imposer dans une situation difficile.

On parle de force physique, mais aussi de force d’âme, autrement dit de courage.

La violence se définit donc par l’usage de la force. Cela nous trouble. Certains auteurs parmi les plus éminents emploient indifféremment «violence» et «force» pour désigner la même chose. Nous proposons de distinguer ces deux termes. Le violent exerce bien une force physique, mais la violence exprime une faiblesse intérieure. Elle est un désordre moral, contraire à la justice et à la maîtrise de soi, tandis que la force est une vertu qui permet de résister au violent. Le violent n’écoute personne, il est sans pitié, les arguments raisonnables ne le calment pas; dans un premier temps, il faut lui opposer la force.

Aristote, dans son Ethique à Nicomaque, a examiné la vertu de force. Il utilise le mot andreia pour dire courage, qui est de la famille de anêr (génitif andros), signifiant homme, mâle. Le prénom André en dérive. L’androgyne mélange les caractéristiques masculines et féminines. En latin, c’est fortitudo qui renvoie à la force physique et au courage. En français, courage et cœur sont des mots parents.

Le courage est une vertu, une excellence comme disent certains traducteurs. Elle est produite par l’habitude et ne s’enseigne pas à l’école. Elle n’est pas non plus innée. Elle implique une disposition que les bonnes habitudes amèneront à maturité: Les choses qu’il faut avoir apprises pour les faire, c’est en les faisant que nous les apprenons. Les actions courageuses accomplies régulièrement actualisent en nous le courage dont nous disposons en puissance. C’est en construisant qu’on devient constructeur, en forgeant qu’on devient forgeron. Encore faut-il être instruit par les exemples des maîtres pour acquérir les bonnes habitudes. Envahi par la crainte au milieu des dangers, on s’habitue à fuir et on devient un lâche: Ce n’est pas une œuvre négligeable de contracter dès la plus tendre enfance telle ou telle [bonne] habitude.

Le courage est une médiété, une moyenne difficile à atteindre entre la lâcheté et la témérité. Celui qui a trop peur est un lâche. Celui qui n’a pas assez peur, par inconscience du danger ou folie, est un téméraire. Nous craignons des choses redoutables, des maux, comme la pauvreté, le manque d’amis, la maladie, la mort. Il y a certains maux qu’il est noble de craindre, par exemple l’infamie. Le courage ne consiste pas à ignorer la peur, mais à la surmonter pour continuer d’agir, notamment à la guerre.

Le courage, intelligent, obéit à la raison. Celui qui fait face au danger redoute ce qu’il fait, au moment où il le fait. Le soldat courageux agit en vue d’une fin noble, pour un objet qui en vaut la peine: la défense de la cité. Le téméraire pèche par excès de confiance. Il ressemble au courageux, mais ne l’est pas vraiment. C’est un poltron qui fait le brave. Quand le danger se fait pressant, il ne tient pas ferme longtemps. Le lâche, quant à lui, s’effraie de tout. Il est sans espoir. Le courageux se tient dans un juste milieu entre le téméraire qui se donne des airs puis s’écroule et le lâche que la peur domine trop pour qu’il puisse la maîtriser.

Aristote s’applique à démasquer le courage frelaté.

Choisir la mort pour des fins qui n’en valent pas la peine, comme la pauvreté, un chagrin d’amour, ou pour échapper à la souffrance, est le fait d’un lâche qui n’agit pas en vue d’un bien, mais pour échapper à un mal. Contrairement aux stoïciens, Aristote n’approuve pas le suicide.

Le courage civique est la plus haute forme de courage. Il est produit par le sentiment de honte devant le déshonneur et le mépris public. Les soldats qui craignent surtout leur commandant montrent une espèce inférieure de courage, parce qu’ils redoutent plus les punitions et les coups du chef que le déshonneur personnel. Etre courageux parce que l’on est forcé de l’être n’est pas le plus beau des courages.

Les soldats de métier, expérimentés, équipés d’un bon matériel dont ils savent se servir, se battent bien, mais sont parfois moins courageux dès qu’ils sont en infériorité numérique ou si les armes et protections efficaces font défaut. Ils sont les premiers à fuir. Aristote se méfie des mercenaires et loue les citoyens-soldats qui meurent à leur poste pour l’honneur de la cité.

Les impulsifs se lancent facilement à l’assaut, comme des bêtes sauvages blessées. Ils peuvent être vaillants, mais ils se battent sous le coup de l’emportement, par plaisir de la vengeance ou par concupiscence. Leur courage est moindre. Un homme courageux se bat pour une cause belle et noble, mais il est vrai que la passion aussi le pousse un peu…

Le plus courageux est celui qui ne se trouble pas devant un danger soudain. C’est face aux risques inattendus que le vrai courage se manifeste comme une disposition stable de caractère. Ce n’est pas un état d’ivresse. Le courageux est vif dans l’action et calme au temps qui la précède.

L’acte courageux n’est pas agréable durant son accomplissement parce qu’il faut endurer des entraînements pénibles, des coups, des blessures et parfois la mort. Seule la fin une fois atteinte est réjouissante: les lauriers et les honneurs après la victoire. Le courage est d’autant plus une vertu que le bon citoyen mène déjà une vie noble et honorable qu’il offre pour une cause plus grande que lui: le bien commun de la cité. Une fin noble guide le courage, choisie de manière réfléchie, non la gloriole.

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