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Quand la densification étouffe

Jean-François PascheEditorial
La Nation n° 2232 28 juillet 2023

Lors des votations du 18 juin, les communes de Montreux et de Crissier ont toutes deux refusé des projets immobiliers d’envergure. Pour la première, cela s’est fait par le biais de l’initiative populaire communale «Sauver les Grands-Prés», acceptée à 71%. Quant aux citoyens de la seconde, ils ont pu s’exprimer contre la réaffectation d’une zone, qui devait passer de zone industrielle à zone mixte à haute densité. Ce changement avait été acté par le Conseil communal en septembre 2022, mais contesté par la voie du référendum. 54% des votants ont dit non.

Dans ces deux cas, les moyens et les buts de l’action diffèrent, tout comme l’argumentation de l’opposition. Dans le cas de Crissier, c’est l’association «Sauvegardons Crissier» qui était à la manœuvre. Sur son site internet1, elle a mis en avant les risques de dégradation de la qualité de vie des Crissirois en raison des longs chantiers en perspective et de l’augmentation du trafic routier inhérent à l’augmentation de la population. La trop grande hauteur des quatre tours prévues dans le projet était aussi mise en cause.

En outre, sur la base d’un sondage qu’elle a elle-même effectué, l’association assure que les Crissirois ne sont souvent pas satisfaits de leur qualité de vie, et qu’une majorité d’entre eux désire «un environnement calme et proche de la nature». Pour les opposants, construire un nouveau quartier censé accueillir un millier de nouvelles personnes va contre cet idéal.

A Montreux, l’Association pour la Sauvegarde des Grands-Prés (ASGP) a été fondée dans le but précis d’empêcher un projet immobilier de voir le jour sur ces dits Grands-Prés, situés en contrebas de l’entrée de l’autoroute. Les arguments d’opposition sont d’ordre plus général que dans le cas de Crissier. Il s’agit de préserver la nature et la biodiversité.

En outre, selon l’ASGP, il y a suffisamment de logements libres en région montreusienne, en considérant les résidences secondaires qui devraient être, selon elle, transformées en résidences principales (en expropriant les propriétaires?). De nouvelles constructions ne seraient donc pas nécessaires. Les opposants demandent au contraire de faire de façon durable des Grands-Prés un lieu «consacré à la biodiversité, de détente, de sensibilisation et d’éducation2». L’argumentaire, qui promeut la protection de la nature d’une manière générale, est moins concrètement lié à la vie des habitants.

D’autres projets immobiliers dans le Canton font l’objet d’oppositions à l’échelle communale. A Saint-Sulpice, le futur quartier «Sur le Jordil» fait face à une récolte de signature pour un référendum. Le délai de récolte a échu, mais nous ne sommes pas parvenus à savoir si le nombre requis de signatures a été atteint. A Pully, la Municipalité a drastiquement limité la taille des nouveaux projets immobiliers.

Au Mont-sur-Lausanne, un grand projet immobilier sis au vallon de la Valleyre est mis en cause par une initiative populaire communale. Une forêt se verrait défrichée en cas d’exécution des plans de construction, ce qui fait dire aux opposants «qu’au moment où canton et communes adoptent des plans climat ambitieux, préserver en l’état l’ensemble des secteurs boisés actuels est devenu un impératif3». L’initiative populaire «Sauvons la Valleyre» a abouti sans peine, réunissant 1700 signatures sur les 916 nécessaires.

Il nous paraît nécessaire de préciser que dans le cas du Mont, ce sont d’abord des conflits entre propriétaires de parcelles et voisins qui ont fortement ralenti le projet, dont on parle depuis plus de 15 ans, avec des plans du même âge environ. Une aubaine pour les opposants qui peuvent maintenant arguer que la sensibilité et la politique écologiques ont bien changé depuis, et que donc le projet est en déphasage complet par rapport aux préoccupations actuelles!

Construire et densifier les intervalles de nature dans les zones du Canton déjà bien desservies par les transports publics est pourtant la tendance prise par la politique afin de pouvoir accueillir un million d’habitants dans le Canton de Vaud d’ici quelques années, tout en préservant les campagnes et les terres agricoles. La révision de la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) approuvée par les Suisses en 2013 (malgré l’opposition de la Ligue vaudoise) plaidait la densification vers l’intérieur. Le syndic de Lausanne, Grégoire Junod, lors de l’inauguration de l’écoquartier des Plaines-du-Loup, déclarait que «la densité c’est aussi un moyen de respecter les objectifs environnementaux et écologiques4».

Même s’il ne faut pas être dupe de ce que chacune de ces oppositions à des projets immobiliers peut refermer d’égoïsme vicinal (pas dans mon jardin!), il semble que les Vaudois en ont assez de voir sans interruption de nouveaux espaces naturels disparaître sous le béton et le goudron, y compris dans les régions déjà fortement urbanisées. Dans les bourgs et villages, la crainte devant une augmentation soudaine du nombre d’habitants motive aussi les refus. Ni les promesses des promoteurs d’écoquartiers aux familles partageant des jardins en permaculture, ni le dynamisme démographique et le vivre ensemble vanté par les autorités, ni même les panneaux solaires et la mobilité douce ne semblent plus vraiment faire rêver.

Pour vaincre ces réactions épidermiques contre tel ou tel projet, il faut dépasser la vision technocratique de l’aménagement du territoire et l’intégrer dans une réflexion globale sur notre capacité d’assimilation, tant pour le Canton que pour chaque commune, et sur le maintien et le renforcement de ce que les Vaudois cherchent comme qualité de vie.

Notes:

1      https://www.sauvegardons-crissier.ch

2     https://sauverlesgrands-pres.org/projet-de-parc-naturel-public/

3     L’argumentaire complet est disponible sur le site internet www.sauverlavalleyre.com

4     Interview donnée au 19h30 de la RTS le 10 août 2022.

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