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Une histoire de l’Eglise libre vaudoise

Antoine Rochat
La Nation n° 2055 14 octobre 2016

En parallèle à la rénovation de la Maison des Cèdres1, la Fondation des Terreaux a soutenu la publication d’un livre important de M. Jean-Pierre Bastian sur l’histoire de l’Eglise libre vaudoise2. Originaire de Lutry et fils de pasteur, M. Bastian a plusieurs cordes à son arc: professeur émérite de sociologie des religions à la faculté protestante de l’Université de Strasbourg, il a aussi vécu et enseigné à Mexico; par ailleurs, il s’est intéressé à l’immigration alpine à Lavaux à la fin du Moyen Age. Partant de la Maison des Cèdres, son regard sur l’histoire d’une minorité réformée active est riche d’enseignements sur l’histoire de notre Canton.

Présentation du livre

L’ouvrage de M. Bastian est divisé en quatre chapitres, complétés par une introduction, une postface et plusieurs annexes.

Sous le titre «Le déploiement d’une dissidence religieuse», la première partie rappelle le mouvement du Réveil dans les années 1820-1830, puis la révolution radicale de 1845 et la création de l’Eglise évangélique libre du canton de Vaud en 1847. Bon nombre de libristes sont issus de milieux aisés: «une aristocratie de rang et une bourgeoisie d’affaires», composée de «professions libérales et [d’une] intelligentsia culturelle», selon les termes de M. Bastian. Proche du mouvement libéral en politique, l’Eglise libre est majoritairement féminine. Les libristes font volontiers référence à la mémoire des Huguenots – certains en sont descendants depuis le Refuge – et à celle d’Alexandre Vinet, leur grande figure tutélaire. L’auteur du livre considère que cette Eglise «n’était en rien une secte repliée sur elle-même, mais une avant-garde religieuse, intellectuelle et morale».

Le deuxième chapitre du livre est intitulé «Une pédagogie de la conviction». Il met en évidence le rôle central de la «Môme», la faculté de théologie de l’Eglise libre, installée dans la Maison des Cèdres depuis sa construction en 1864 et jusqu’à la fusion des Eglises en 1965. Dotée d’une bibliothèque très riche et d’enseignants de valeur, la «Môme» a montré «une piété et un engagement ecclésial intenses»: quatre cent vingt-neuf thèses de licence y ont été soutenues en près de cent vingt ans. Dans un autre domaine, les peintres Eugène Burnand et Louis Rivier sont révélateurs d’une «esthétique de la conviction».

Le chapitre trois évoque «Le rayonnement par les œuvres»: l’action missionnaire, la philanthropie et l’hygiénisme moral notamment. On peut aussi citer le rôle de l’école du dimanche, la création de l’Ecole normale des garde-malades indépendantes de Lausanne, devenue La Source, ou la contribution financière de William Barbey-Boissier, de Valeyres-sous- Rances, à la construction du chemin de fer Yverdon – Sainte-Croix, à la condition expresse qu’il ne circule pas le dimanche! Dans un passage intitulé «Le combat pour la tempérance», M. Bastian souligne les liens entre l’Eglise libre et la Croix-Bleue, mais il reproduit aussi un poème de Paul Budry consacré à la «vigne de mars».

Le quatrième et dernier chapitre porte le titre «De la fracture religieuse à la fusion des contraires». Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, Roger Schutz, formé à la «Môme», fonde la communauté monastique de Taizé. Pierre Bonnard, libriste, et Albert Girardet, national, s’engagent dans un processus de rapprochement des deux Eglises. Après plusieurs années de rudes négociations, la fusion se réalise. Le peuple vaudois accepte de modifier la Constitution cantonale, permettant ainsi l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1966, d’une nouvelle loi ecclésiastique et la naissance de l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud.

Le livre se termine sur une postface («le sociologue et le prophète»), complétée par plusieurs annexes, dont une imposante bibliographie et deux index.

Eglise libre et Ligue vaudoise

L’ouvrage de M. Bastian souligne à plusieurs reprises le rôle important joué par Marcel Regamey dans le processus de la fusion des Eglises protestantes vaudoises. M. Regamey a fait partie de plusieurs groupes de travail et il a vigoureusement soutenu le projet, y compris dans les colonnes de ce journal3. Nous citons les propos de M. Bastian:

Cependant, au plan idéologique, les conceptions de la place de l’Eglise dans la société différaient et se maintenaient en tension, comme Regamey lui-même le formula évoquant une Eglise issue de la fusion «à la fois institution nationale et communauté de croyants».

M. Bastian relève les différences entre Eglise libre et Ligue vaudoise, mais aussi leurs similitudes et les liens personnels qui ont pu exister entre elles.

Conclusions

Cinquante ans après la fusion, force est de constater que la situation actuelle de l’Eglise réformée vaudoise n’est pas brillante: sécularisation de la société, individualisme, poussée d’autres confessions et d’autres religions, vieillissement et affaiblissement des communautés, sans parler des conflits internes à l’Eglise.

Quoi qu’il en soit, le livre de M. Bastian nous rappelle des événements importants de l’histoire de notre Canton: la scission des Eglises, les apports de chacune d’elles pendant plus d’un siècle (citons par exemple la formation des pasteurs et la force de conviction du côté libriste, les liens avec l’Etat et le multitudinisme du côté national), et enfin la réussite du processus de la fusion. Citons encore M. Bastian:

[L’histoire de notre Eglise] mérite d’être relue et interrogée […] par ceux qui se préoccupent de l’avenir non pas du seul protestantisme, mais du christianisme en pays vaudois, et par ceux qui désirent réfléchir à l’apport des acteurs religieux à la société.

Ce livre y contribue de manière fort utile.

Notes:

1 La Nation n° 2053 du 16 septembre 2016.

2 Jean-Pierre Bastian, La fracture religieuse vaudoise 1847-1966, éditions Labor et Fides, Genève 2016, 404 p.

3 Voir par exemple Marcel Regamey, «Synthèse», La Nation n° 680 du 10 janvier 1964.

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