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Toujours plus

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 1839 20 juin 2008
L’UDC est dans la tempête: éviction de M. Blocher du Conseil fédéral, triple échec lors des dernières votations, luttes intestines. Dans sa chronique du 5 juin de L’Hebdo,M. Jacques Pilet prédit une dislocation prochaine de l’UDC, conséquence des erreurs de ses chefs. La démocratie directe, estime-t-il, ne saurait être un mode ordinaire de gouvernement, les décisions prises par oui ou non étant trop brutales et négligeant les minorités; secondement, l’intransigeance idéologique de l’UDC rend impossible les compromis nécessaires avec les formations proches et engendre à l’intérieur du parti des épurations qui l’épuisent; enfin, la succession du chef charismatique posera à terme des problèmes insolubles.

Il se pose encore un autre problème à l’UDC, qui n’est pas propre à ce parti mais relève des mécanismes démocratiques eux-mêmes. C’est une constatation permanente qu’en démocratie, le pouvoir se conquiert en excitant les passions et qu’il se conserve en gérant les intérêts. Le problème qui se pose à l’UDC est le même que celui qui se posait, il y a un siècle et demi, au très révolutionnaire parti radical: comment passer du régime des passions au régime des intérêts, autrement dit, du mouvement d’opposition au gouvernement de tous?

Pour conquérir le pouvoir rapidement, il ne faut pas s’adresser au côté raisonnable des gens ou à leur souci du bien commun, mais à leurs passions. Seule la passion est assez forte pour soulever les foules et les mettre en mouvement sans attendre. Elle sort l’individu du lourd train-train de ses responsabilités ordinaires pour le faire entrer dans l’Histoire en marche, elle l’élève à ses propres yeux et le rend apte à tous les sacrifices de temps et d’argent.

En revanche, les passions passent au second plan (ou plutôt au troisième, le tout premier souci restant celui des prochaines élections) quand le parti est bien installé au pouvoir. Par la force des choses, il est amené à se préoccuper des innombrables intérêts concrets, professionnels, familiaux, communaux, des citoyens et des groupes qui constituent la société, qui constituent aussi son socle électoral. Cela prend l’essentiel de son temps. Tout au plus administrera-t-il de temps à autre une petite piqûre de rappel idéologique dans le programme quinquennal édité en vue des élections. La gestion des intérêts particuliers stabilise la société et assied le gouvernement.

Il y a une vingtaine d’années, l’UDC est partie à l’assaut du pouvoir. Elle a remarquablement utilisé les passions, fondant l’essentiel de son action sur l’affirmation que la Suisse, sa souveraineté, sa neutralité et son armée étaient bafouées par les autres partis. A preuve, l’immigration incontrôlée, le bradage du droit de vote, la faiblesse des autorités face aux attaques dont la Suisse était l’objet ou encore cette volonté obstinée des partis de faire entrer la Confédération dans toutes sortes de conglomérats économiques ou politiques supranationaux.

Ce sentiment était, avec des nuances, partagé par une bonne partie de l’électorat, ce qui explique le recrutement exponentiel de l’UDC, ses succès électoraux et l’engagement généreux de ses membres, notamment les jeunes.

Le problème est qu’il faut beaucoup de temps pour s’installer solidement aux commandes et modifier la marche générale de la société. Or, les passions se conservent mal.

Au début, le militant est prêt à faire litière de ses soucis personnels et à consacrer tout son temps à la cause qui le passionne. Mais ses soucis n’ont pas disparu pour autant. Ils reviennent constamment à la surface et entravent son engagement. Le fait est qu’il est usant d’être un héros dans le quotidien. La passion retombe alors, et bien souvent, au bout de quelques années, on se retire en se disant qu’on en a fait assez, que c’était une belle aventure et qu’il faut «laisser la place aux jeunes».

Et puis, la passion est comme une drogue, on s’y habitue. Rapidement, elle ne fait plus l’effet des débuts. Il en faut «toujours plus». Il faut sans cesse du nouveau, du plus vigoureux, du plus simple: radicaliser le discours, intensifier sa présence dans les médias par des annonces et des lettres de lecteurs, prédire puis annoncer publiquement une croissance massive des effectifs du parti, multiplier les recours au peuple.

Cela même finit par ne pas suffire. Poussée jusqu’au bout, la logique du système débouche sur une alternative: soit la révolution, soit l’implosion. La révolution n’est pas, à ce que nous savons, dans les perspectives de l’UDC.

La population marche, puis se lasse. Peut-être a-t-elle déjà commencé à se lasser. Elle éprouve au fond d’ellemême, comme une obscure évidence, la certitude qu’un certain équilibre des forces, de toutes les forces, même celles qu’on réprouve, est nécessaire à la conservation de la société. Ce sentiment est profondément contrarié par le mécanisme du «toujours plus» propre à la politique passionnelle. «Il ne faut pas exagérer»: cette forme de prudence inconsciente s’oppose à la croissance indéfinie qu’exige la passion.

Il est vrai que la gauche elle aussi s’adresse aux passions. Ses messages populistes sollicitent souvent l’envie et le soupçon à l’égard des riches, des patrons, des indépendants, des industriels, des banquiers. La différence est que le populisme de gauche vise à accroître l’égalité, alors que celui de l’UDC vise à renforcer des différences, principalement celle qui sépare les nationaux des étrangers. Comme pour la relativité, il y a une égalité restreinte (restreinte au droit de vote des citoyens) et une égalité générale portant sur tous les aspects de la condition humaine. La seconde autorise tous les écarts, pas la première. L’UDC ne reconnaît que l’égalité restreinte. C’est un obstacle supplémentaire à sa normalisation.

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