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L’unité de l’Etat

Olivier DelacrétazEditorial
La Nation n° 2041 1er avril 2016

La presse a longuement parlé de l’unité du Gouvernement vaudois. Elle y a vu à juste titre une raison du succès en votation de la loi sur la fiscalité des entreprises. Depuis plusieurs années, d’ailleurs, le Conseil d’Etat présente presque constamment un front uni. Avant toute autre considération, ce fait premier doit être considéré en lui-même comme une réussite politique et un bienfait pour le Canton. Un gouvernement uni inspire de la confiance aux citoyens. Il leur apparaît plus personnel, plus proche, plus convaincant. Il est plus efficace, ne perdant pas son temps dans des oppositions et des blocages internes. A l’inverse, un gouvernement désuni délivre des messages brouillés. Il attire sur lui la défiance, voire le mépris. Il apparaît non comme une entité politique, mais comme une juxtaposition incertaine de prés carrés administratifs.

Selon les commentateurs, la composition du Conseil d’Etat et une situation économique favorable sont les facteurs centraux de cette unité. Mais il ne faut pas oublier l’institution de la présidence telle qu’elle existe depuis 2003: le président du Conseil d’Etat, désigné pour cinq ans, est responsable de la cohérence de l’action gouvernementale et de l’administration générale, de la coordination des départements et des relations avec les autres cantons et avec la Confédération. C’est beaucoup. L’existence d’une telle fonction est de soi créatrice d’unité, quelle que soit la valeur ou la tendance de celui qui l’occupe. Sans nier l’importance des facteurs circonstanciels, c’est dans la fonction présidentielle que nos voyons le germe de l’unité gouvernementale actuelle.

Le premier président fut M. Pascal Broulis. La Nation1 avait commenté à l’époque un excellent article sur le fédéralisme qu’il avait publié dans la Nouvelle Revue de Lausanne2. On se rappelle aussi son engagement dans le premier référendum des cantons, lancé contre un paquet fiscal fédéral. La matière du combat était discutable en l'occurrence, mais le mécanisme était authentiquement fédéraliste. M. Pierre-Yves Maillard, qui lui succéda en 2012, semblait assez sceptique à l’égard d’une charge qu’il jugeait encombrante. Mais il s’y est vite mis: une institution répondant à une nécessité vitale, en l’occurrence l’unité de décision et d’action, modifie son détenteur et oriente naturellement son activité en direction du bien commun. Ces derniers jours, nous avons vu avec plaisir la presse évoquer cette notion comme allant de soi.

Nous venons de recevoir le Rapport du Conseil d’Etat sur les affaires extérieures du Canton. Nous y reviendrons plus en détail. Pour l’heure, disons qu’il va dans le même sens et exprime dans toutes ses lignes la certitude du Conseil d’Etat que le Canton est bel et bien un Etat souverain, qu’il a un rôle à jouer à l’égard des autres cantons, dans la Confédération et face aux Etats voisins. Tout cela est heureux et de bon augure.

L’argent coule à flots renouvelés dans les caisses de l’Etat. C’est encore une bonne chose. Quand la dette dépassait les dix milliards de francs, le Canton était faible dans la conscience même qu’il avait de lui. Il était et se sentait à la remorque. Aujourd’hui, il a les moyens de voir à long terme, d’investir, de conduire une véritable politique.

Mais l’argent permet aussi de masquer les problèmes sans forcément les résoudre. Quand on est aisé, on est toujours tenté de payer pour éviter d’arbitrer. Mme Nuria Gorrite rappelle ingénument3 qu’elle a soutenu la troisième réforme de l’imposition des entreprises parce qu’elle a réussi à y intégrer l’accueil de jour et les crèches en compensation de la diminution des impôts. Ce type de compensation coûte cher. C’est une dérive que de réaliser l’unité sur le dos du contribuable. L’unité politique doit engendrer une diminution des frais, non une augmentation.

On voudrait aussi que le Conseil d’Etat profite de l’efficacité que lui procure son unité pour diminuer son interventionnisme et réduire le poids de la bureaucratie. On n’en prend pas le chemin. Il est atterrant de constater qu’en des temps de prospérité et de chômage faible, la «facture sociale» n’a jamais cessé d’augmenter. Elle représente aujourd’hui un quart du revenu des impôts cantonaux et communaux. L’Etat place les générations futures dans une dépendance financière et administrative croissante, qui promet d’être insupportable quand la bise sera revenue. Il ne sera plus temps, alors, de réduire l’administration et de diminuer les dépenses sociales. Ce n’est pas quand on est affamé qu’on doit faire la diète.

La précieuse unité du Conseil d’Etat manifeste la résistance du pays réel à l’idéologie qui divise le peuple en factions partisanes. C’est dire que, les partis continuant de sévir, l’unité reste menacée. Nos politiciens devront sans cesse avoir en en arrière-fond de leur action ce qu’ils ont de meilleur – le sens du bien commun vaudois – pour qu’elle dure au delà des prochaines cantonales.

Notes:

1 «Un article de M. Broulis», La Nation n° 1768, 30 septembre 2005.

2 «L’arbitraire n’aime pas le fédéralisme», Nouvelle Revue de Lausanne, août 2005.

3 «Lorsque deux mâles alpha s’en vont au bois ensemble, ils cartonnent», Le Matin Dimanche, 27 mars 2016.

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