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Le trou noir centralisateur

Félicien MonnierEditorial
La Nation n° 2190 17 décembre 2021

Les Amis de la Constitution envisagent une initiative populaire pour l’introduction de l’initiative législative au niveau fédéral.

Actuellement, 100 000 signataires peuvent demander au peuple et aux cantons de voter sur l’introduction d’un nouvel article dans la Constitution fédérale. Il s’agit du seul moyen, pour des citoyens, d’introduire une nouveauté en droit suisse. Et cette dernière pourra uniquement avoir rang constitutionnel. L’élaboration d’une loi d’application appartiendra au Parlement. Avec l’initiative législative, il serait possible d’introduire directement de nouvelles lois fédérales ou de modifier des lois fédérales existantes.

Les Amis de la Constitution veulent «redonner le pouvoir au peuple». Lui seul serait détaché des lobbies et des partis. Nés en réaction aux mesures de lutte contre la pandémie, les Amis de la Constitution craignent les tendances étatistes et contrôleuses de la Confédération.

Nous les rejoignons sur leur méfiance à l’égard du parlementarisme. Il concentre sur les députés les deux fonctions, pourtant différentes, de représentation d’intérêts (économiques, régionaux, associatifs) et de prise de décision. Cette confusion porte atteinte à la nécessaire unité du pouvoir.

Veillons cependant à ne pas croire que les associations professionnelles polluent un Parlement qui, sans elles, serait pur. Les partis suffisent à vicier la démocratie parlementaire.

Ces associations professionnelles ne méritent d’ailleurs pas systématiquement le dénigrant et suspicieux terme de «lobbies». En Suisse, les associations économiques, y compris celles issues du monde de la pharmaceutique, contribuent activement au bien commun. Les conventions collectives élaborées entre partenaires sociaux sont du droit à part entière. Leurs offres de formation professionnelle sont riches et bénéfiques. Par leur existence, les normes d’autorégulation d’une branche sont elles-mêmes un frein à l’étatisme et à la boulimie législative. Pas une ligne n’en est pourtant soumise au Parlement. Ces communautés sont des lieux d’exercice réel et concret de la liberté.

Aussi ne développons-nous pas une vision idéalisée du peuple comme réceptacle de la volonté générale. Ne serait-ce que parce que nous considérons que le peuple suisse n’existe pas comme entité culturelle propre. Le «peuple suisse» n’est que l’addition de 26 peuples cantonaux. Cela justifiera peut-être plus aisément que l’on parle de «peuple vaudois». Mais même une population partageant, comme les Vaudois, des mœurs communes ne constitue pas encore une réalité douée de raison. Encore moins une entité naturellement investie d’une capacité de décision.

En Suisse, les cantons sont les éléments constitutifs originels et essentiels de la Confédération. Veiller au bien commun signifie laisser à ces communautés leur substance et leurs libertés les plus amples possibles. C’est pourquoi la Ligue vaudoise combat toute centralisation ne correspondant pas à une compétence consubstantiellement fédérale (défense nationale, grandes infrastructures, diplomatie).

Actuellement, deux institutions ont un très fort pouvoir centralisateur. La première est l’initiative constitutionnelle. Depuis son introduction en 1891, mais surtout depuis la fin du siècle passé, elle sert principalement de vecteur aux obsessions politiques du moment. Chaque comité d’initiative fédérale présuppose, ne serait-ce qu’inconsciemment, que les cantons sont inaptes à traiter la question qu’il veut voir réglée. On l’a vu le 28 novembre dernier avec les soins infirmiers. Nous le verrons le 13 février prochain avec l’interdiction de la publicité pour le tabac. Cette centralisation-là avance par à-coups passionnés. Chaque nouveauté est l’occasion d’une campagne et heureusement parfois d’un refus.

Les lois fédérales constituent le second accélérateur à la centralisation. Elles le sont plus insidieusement que la Constitution. Voyons l’aménagement du territoire. Ses bases constitutionnelles ont peu évolué. La LAT n’a pourtant cessé, depuis son adoption en 1979, de spolier les cantons de leurs compétences. De manière exemplaire, l’administration fédérale ajoute son vétillisme technocratique à la bougeotte électoraliste des députés.

Cette centralisation législative est permanente. Elle irradie le droit fédéral et nous impose de scruter chaque réforme dans le détail. La combattre est difficile. 

L’introduction de l’initiative législative créerait non seulement une nouvelle cause de centralisation, mais conjuguerait les dangers des deux autres. Chaque loi fédérale existante suscitera des aspirations réformatrices. Or les passions du moment sont légion: biodiversité ou climatoscepticisme, mobilité douce, harcèlement de rue, wokisme inclusiviste, peur de la surveillance numérique ou technophilie… L’initiative législative leur rendrait l’ensemble du droit fédéral soudain très accessible. Le fédéralisme en pâtirait nécessairement.

Se méfier des Chambres est de saine doctrine. Mais le droit de référendum suffit à les recadrer. Veillons à ne pas surréagir en créant un trou noir centralisateur. Nous invitons les Amis de la Constitution à renoncer à l’introduction de l’initiative législative fédérale.

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