Identification
Veuillez vous identifier

Mot de passe oublié?
Rechercher


Recherche avancée

Traces d’humanité (5)

Jacques Perrin
La Nation n° 2190 17 décembre 2021

Des perdants

Kliment Vorochilov a été serrurier à Lougansk. Staline le tutoie et l’appelle Klim. Vorochilov n’a aucune formation militaire. Il en est fier. Durant la guerre civile, il démontre un certain courage physique, mais n’est pas un chef efficace. Il est bientôt privé de commandement; il travaille mieux en tant que commissaire de la Défense, et commissionnaire de Staline. Il a épousé Golda Gorbman, issue d’une famille juive très pieuse qui la rejette et fait dresser une pierre tombale à son nom après lecture par le rabbin d’une oraison funèbre. Comme son épouse, Vorochilov a une très belle voix; il se fait l’ami et le mécène des peintres, des musiciens et des chanteurs d’opéra. Staline lui donne la mission de faire rentrer le peintre Il y a Répine en URSS, il échoue. En 1934, il est personnellement salué par les délégués au premier congrès des écrivains, parmi lesquels figurent Aragon, Romain Rolland, Malraux, Heinrich Mann, George Bernard Shaw. En 1935, il devient le premier maréchal de l’Union soviétique. Durant les purges, il se soumet inconditionnellement à Staline, agissant souvent contre ses convictions. Cela le tourmente: il a beaucoup de victimes innocentes sur la conscience. Lors de la campagne de Finlande, Staline ne pardonne pas à son commissaire à la Défense l’étalage de faiblesse de l’Armée rouge. Vorochilov est démis de ses fonctions. Le 10 juillet 1941, il est fait commandant de la direction du Front Nord-Ouest. Il est écrasé par les événements, comme privé de volonté. Il n’exercera désormais plus aucun commandement. On le relègue aux seconds rôles, mais il garde les privilèges du poste dérisoire de président du Conseil des ministres pour la Culture. En 1959, la mort de sa femme, avec laquelle il a adopté deux enfants, le dévaste. Peu avant le décès, il est assis sur le lit d’hôpital de son épouse qu’il enlace, tous deux chantant des airs d’opéra à tue-tête. Jusque à la fin, il commet des bourdes. La reine Elisabeth de Belgique écrit pour protester contre l’invasion de la Hongrie. Il adresse une lettre de réponse à… Elizabeth d’Angleterre.

Simeon Timochenko, colosse au physique de lutteur et à la voix de stentor, fut mitrailleur dans la cavalerie. En 1925, il commande le 3e corps de cavalerie. Il est fait maréchal en 1940 après la campagne de Finlande. Il propose une bonne réforme de l’Armée rouge, en partie refusée. En 1941, ébranlé par le désastre, il s’écroule, subissant une cascade de défaites. Staline songe à le faire arrêter. Le 6 juillet 1942, il disparaît. Il passe quelques jours allongé sur une meule de foin. Le commissaire politique Gurov rapporte que Timochenko se demande sans cesse: Que puis-je dire à Staline? Il n’y a plus d’armée, il n’y a plus rien à commander. Relevé de son commandement, il sert de bouche-trou sur le Front de Stalingrad où il reste onze jours. Dans les moments difficiles, il abandonne tout et va se baigner dans le Don. Puis il se reprend un peu, mais est relégué dans des tâches de coordination entre les fronts. C’est un homme brisé. Entre 1962 et 1970, il présidera la Société des vétérans dont les longues réunions commémoratives ont été égayées par son physique de lutteur couturé de cicatrices et son goût pour la bouteille.

Vous avez de la chance, cet article est en accès public. Mais La Nation a besoin d'abonnés, n'hésitez pas à remplir le formulaire ci-dessous.
*


 
  *        
*
*
*
*
*
*
* champs obligatoires
Au sommaire de cette même édition de La Nation: