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Contre l’universel?

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2190 17 décembre 2021

L’universalisme laïque, version sécularisée de l’universalisme chrétien, est aussi naturellement impérialiste que l’Eglise est naturellement missionnaire: comme la Parole, les «valeurs» laïques sont bonnes pour le monde entier. L’impérialisme universaliste, c’est d’abord la démocratie libérale imposée à tous les peuples et par tous les moyens, indépendamment de leurs traditions et de leurs appartenances ethniques, claniques ou religieuses, l’abaissement des frontières, la diplomatie multilatérale, avec la gouvernance mondiale en point de mire; en matière de société, c’est le cosmopolitisme hors-sol; en droit, la subordination des droits nationaux aux Droits de l’homme; en économie, le marché mondial et la délocalisation, sans états d’âme sociaux, des activités industrielles et commerciales; en matière de cultes et de culture, la dégradation des rites et des traditions en objets de consommation touristique ou d’études ethnologiques; en matière religieuse, la réduction de toutes les croyances à un «sacré» résiduel, à la fois désincarné et sentimental.

En résumé, l’universalité, en marche vers son abstraite perfection, écrase les originalités nationales et locales, déracine les peuples de leur histoire, délaie leur culture dans un multiculturalisme sans goût ni moût, décompose les communautés traditionnelles en individus solitaires.

L’émergence du populisme est une réaction à cette dégradation planétaire. Les populistes affirment l’importance vitale du particulier national. Ils invoquent la souveraineté première du peuple, trop souvent trahi par les «élites» parlementaires. Ils prônent le patriotisme et le respect des traditions, plaident pour l’indépendance du pays, réhabilitent l’armée et les frontières.

Quelquefois, ils obtiennent des succès précieux qui leur valent notre reconnaissance. Mais, opérant sur le plan électoral, ils ne disposent pas du temps nécessaire pour agir en profondeur. Ils ne modifient pas l’esprit de la modernité, qui privilégie invariablement le mondial au détriment du national. Aussi, quand l’opposition populiste (même porté au pouvoir, le populiste reste dans l’opposition) s’essouffle, l’universalisme laïque reprend imperturbablement sa marche. La présidence populiste de M. Trump ne fut qu’une parenthèse. Celle de M. Biden au contraire, si dangereusement va-t-en-guerre soit-elle, s’inscrit d’une manière accélérée dans la perspective universaliste.

Un autre type de réaction à l’universalisme est apparu aux Etats-Unis. C’est le «communautarisme», par quoi on entend un ensemble disparate de communautés non territoriales regroupant des personnes qui se jugent opprimées à cause de leur race, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Chacune de ces communautés tend à ne tenir compte que de ce qui la distingue du reste du monde. En particulier les communautés dites «racisées», c’est-à-dire réduites à leur race par les Blancs raciseurs, se veulent imperméables à toute forme d’universalité. C’est qu’à leurs yeux, l’universalité, même celle des sciences, même celle de la logique, même celle des mathématiques pures, est une construction blanche!

Par ses outrances et ses simplifications, par son mépris de la raison, par ses dérives émotionnelles et son caractère agressif et suspicieux, le communautarisme ne crée que du désordre, aggravant les conflits qu’il dénonce. Il ne réduit en rien les méfaits de l’universalisme.

D’une certaine manière, soit dit en passant, l’électorat de M. Donald Trump, qui se veut l’Amérique profonde face au pouvoir des «élites» corrompues, adopte une posture communautariste et victimaire assez voisine. Etrange convergence du populisme et du communautarisme!

Notre position est qu’il ne faut pas choisir entre l’universel et le particulier, mais les ajuster l’un à l’autre. Car l’animal humain est, en toute chose terrestre, entièrement particulier et entièrement universel. Il est universel en puissance et particulier en acte. Il veut la vérité, la justice, la beauté, mais ne les atteint qu’à travers le particulier de sa langue maternelle, du droit de son pays, des canons esthétiques de son époque. Il ne pense qu’avec les mots et les règles qui les assemblent. Il ne punit avec justice qu’en appliquant le droit du lieu. Il ne crée qu’en utilisant le métier, les exemples et les références que sa culture et ses maîtres mettent à sa disposition. Dira-t-on alors que le particulier est un moyen et l’universel un but? Ce serait encore trop les séparer, chaque moyen étant lui-même un composé de particulier et d’universel.

Universel et particulier: au risque d’être jugés tièdes ou ratiocineurs, les rédacteurs de La Nation s’efforcent de ne jamais rejeter ou simplement négliger l’un au nom de l’autre.

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