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Les chemins escarpés de la Reconquête

Olivier Delacrétaz
La Nation n° 2238 20 octobre 2023

Dans son court ouvrage La Fin de la Chrétienté, la philosophe Chantal Delsol évoque ces catholiques «traditionalistes» qui voudraient rebâtir la civilisation chrétienne, rétablir ses hiérarchies, réhabiliter le principe d’autorité, la structure familiale traditionnelle et la communauté nationale, combattre l’individualisme, l’athéisme, l’évolutionnisme, le mondialisme et, bien entendu, remettre l’Eglise au milieu du village, en Europe et au-delà. Il s’agit donc à la fois d’une reconquête politique et d’un renouvellement spirituel.

Ses partisans, je devrais dire «ses soldats», parlent de «Reconquête», en référence à la Reconquista, cette reconquête militaire, par les nations chrétiennes, du territoire espagnol occupés par les musulmans. Cette aventure, qui dura du VIIIe siècle au XVe siècle, leur inspire un espoir grandiose, à vrai dire non exempt de nostalgie romantique.

Distinguant entre le spirituel et le temporel – distinction pas toujours respectée, d’un côté comme de l’autre – la civilisation chrétienne a influencé le monde plus qu’aucune autre, en matière de mœurs, de philosophie, de droit, de politique, d’art et de littérature. L’Eglise a offert à l’humanité les trésors de la liturgie et de la musique sacrée, les cathédrales, leurs fresques et leurs vitraux, les réflexions des théologiens les plus savants. Elle a prêché, enseigné, soigné, défriché, construit. Qu’un croyant veuille préserver de la destruction et de l’oubli ce qui subsiste de ces trésors est compréhensible. Des couvents, des ordres, des fraternités catholiques s’y emploient.

Mais ce n’est pas suffisant, pour qui envisage de restaurer la Chrétienté et pas seulement d’en conserver pieusement les restes.

Pour Mme Delsol, cette perspective de reconquête est chimérique. A l’appui de son scepticisme, elle décrit longuement le mouvement d’ensemble, apparemment irrésistible, qui fait disparaître la Chrétienté un peu plus chaque jour, tandis que la modernité s’installe partout et en profondeur.

Ce n’est pas, nous dit-elle, que les partisans de la Chrétienté ne se soient pas battus contre ce «grand remplacement». Au contraire. Dès le début du XIXe siècle, on assiste à une surabondance de réactions antimodernes. Le Syllabus (résumé) du pape Pie IX paraît en 1864, dénonçant sans le moindre ménagement diplomatique les principales «erreurs de notre temps». Des penseurs comme Joseph de Maistre, Louis de Bonald, René de La Tour du Pin, ainsi que, dans une perspective politique et nationale, Charles Maurras, des écrivains comme Gustave Thibon ou Jean Raspail, des revues, comme Reconquête, créée il y a trente-quatre ans, des sites, des mouvements divers et variés, comme la Manif pour tous: chaque mètre carré de la Chrétienté est, aujourd’hui encore, défendu âprement, avec énergie et souvent avec talent.

Mais rien n’y fait. La modernité continue de croître et de multiplier. Jour après jour elle impose son idéologie, la démocratie égalitaire comme seul modèle politique légitime, les droits de l’homme comme supérieurs aux droits positifs nationaux, le mondialisme sans frontières comme condition de la fraternité humaine. Que le tout aboutisse aujourd’hui au chaos wokiste, au coupe-gorge du marché mondial et à l’orgueil transhumaniste n’y change rien. L’évolutionnisme fait aujourd’hui partie des idées reçues, au point que la moindre contestation déclenche l’indignation de toute part. Tout ce que la Chrétienté rejetait et pénalisait, le divorce, la contraception, l’avortement, l’euthanasie, fait aujourd’hui partie des droits individuels élémentaires. Une loi qui les restreindrait ne serait ni comprise par le justiciable, ni appliquée par les tribunaux. Elle n’aurait d’ailleurs même pas été votée par le parlement.

La modernité ne progresse pas moins à l’intérieur de l’Eglise. Depuis le deuxième concile œcuménique du Vatican (1962-1965), l’Eglise (et cela vaut aussi pour l’Eglise évangélique réformée du Canton de Vaud, qui a même pris une bonne avance en matière sociétale) ne combat plus la modernité. Elle s’y rallie, pour ne pas dire qu’elle s’y soumet avec l’énergie des néo-convertis. Ses références bibliques et théologiques apparaissent toujours plus comme de simples éléments de langage destinés à «faire chrétien». Elles recouvrent une pensée qui se fond dans les stéréotypes de la modernité, relativisme religieux et philosophique, progressisme technique, anxiété écologique, le tout nappé de sentimentalité.

L’Eglise s’accuse elle-même, et accuse plus encore ses devanciers de sclérose théologique, de sectarisme juridique et de despotisme. Elle prend le sac et la cendre, espérant que ces contritions lui vaudront l’absolution. Nous prenons sans risque le pari que jamais la modernité ne la lui accordera.

A l’intérieur de l’Eglise aussi, les réactions ont été vigoureuses, à commencer par celle de Mgr Marcel Lefebvre. La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X qu’il a fondée en 1970 suscite nombre de vocations. La modernité n’en continue pas moins, imperturbablement, sa progression dans l’Eglise.

On ne détruit bien que ce que l’on remplace. La modernité offre encore un lot de religions plus en phase avec le monde contemporain, plus faciles d’accès, aussi, et plus confortables de pratique, les spiritualités orientales, les croyance new age et l’écologisme planétaire. Cela aussi devrait être reconquis.

C’est dire que le discours de Reconquête apparaît aujourd’hui surtout comme l’évocation mélancolique d’un paradis perdu. Consolante, Mme Delsol rappelle à raison que le naufrage de la Chrétienté n’entraîne pas celui de la religion chrétienne et de la foi.

Nous reviendrons dans quinze jours sur les pages conclusives de son livre, pages surprenantes qui en appellent à un «christianisme sans chrétienté».

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